The Doors, The Who, Joan Baez, Deep Purple sont en tournée cette année. The Pixies et plus récemment The Police et Genesis sont réunis à nouveau et prêts à sillonner les salles de concert. Les papys du rock sont bel et bien de retour. Jean-Daniel Beauvallet
, rédacteur en chef de la rubrique "Musiques" des Inrockuptibles nous décode ce phénomène.
Il semble qu'aujourd'hui nous assistions à un retour du rock des années 60 et 70, notamment avec la reformation de certains groupes et la reprise de leurs tournées. Faut-il y voir une histoire de gros sous ou un véritable défi musical ?
Jean-Daniel Beauvallet : Il n'y a généralement pas de défi musical. Ce n'est pas le cas pour The Who, Deep Purple ou The Doors [qui ont repris une tournée sous le nom de Riders on the storm]. Il s'agit là principalement d'une histoire d'argent. Ces groupes ne vendent plus de disques et du coup organisent des tournées. Cependant, il y a aussi la volonté pour certains de revenir à des choses plus simples, plus basiques. Jouer de la musique devant un public. Sting n'a par exemple pas besoin de faire des tournées pour gagner de l'argent. Je pense qu'il s'agit dans ce cas d'une pure question de plaisir. La reformation de The Police peut être un défi musical pour ses membres mais je pense qu'avant tout, il s'agit de prendre du plaisir, de retrouver un contact avec le public.
Justement, quel est le public visé par ses papys du rock qui remontent sur scène ?
Quand on se rend dans les concerts des Pixies, des Doors ou de Deep Purple par exemple, on se rend compte que le public est composé à 50% de jeunes et à 50% de fans de toujours, plus âgés. C'est justement une des motivations et un des défis pour ces groupes qui ont été formés il y a 30-40 ans : toucher les "kids", les jeunes. Des jeunes qui ont souvent découvert leur musique par le net ou par leurs parents et qui se rendent en concert pour avoir un contact avec des légendes vivantes. Et ce, même si les membres du groupe reformé ne sont pas exactement les membres originels. Ils veulent voir jouer des noms mythiques. De plus, les jeunes ont de l'argent et n'hésitent pas à investir 50 ou 60 euros pour aller voir des idoles. Il est intéressant par ailleurs de remarquer que ces groupes sont capables de remplir des zénith entiers mais ne vendent quasiment pas d'albums. Tout tourne autour du fait de "toucher des légendes". C'est ce que le public recherche essentiellement.
Est-ce de la nostalgie pure ou plutôt un retour à la mode du rock des années 60 et 70 ?
Pour certains, il y a clairement de la nostalgie. De plus, les fans de rock qui avaient une vingtaine d'années dans les années 70 n'avaient pas forcément l'argent pour aller voir leurs groupes favoris en concert. Aujourd'hui, ils peuvent avoir accès à un certain pouvoir d'achat et donc se permettre d'aller voir leurs idoles en live. Pour les "kids", le rock de ces années-là est effectivement à la mode. Pour la simple est bonne raison qu'aujourd'hui les nouveaux groupes n'inventent plus de langues nouvelles mais plutôt de nouvelles façons d'agencer les restes. La course en avant du rock est ralentie et on joue aujourd'hui avec les héritages. Internet a un rôle crucial dans la diffusion des anciens groupes auprès des jeunes. Internet a opéré une mise à plat du temps. Il n'y a plus de raretés, tout est disponible. On peut se procurer sans problème l'intégrale des Doors ou des Stooges. De ce fait, aller à la recontre de Ray Manzarek [le fondateur des Doors] ou d'Iggy Pop en concert reste la dernière rareté.
Les "tribute bands", formations qui rendent hommage à un artiste ou à un groupe en reprenant leur répertoire, participent-ils à ce retour à la mode ?
Les formations "en hommage à" participent effectivement à la redécouverte de certains groupes et au sentiment de nostalgie. A l'origine, les "tribute bands" sont nés en Australie car le pays était souvent à l'écart des grandes tournées. C'est un phénomène qui est donc né de frustrations mais que le public prenait avec dérision, sachant clairement qu'il y avait devant eux une vraie supercherie qui se jouait. Aujourd'hui, les gens se rendent à une soirée "tribute" car ils n'ont pas eu l'occasion de voir le groupe original et souvent dans des cas où des membres du groupe sont décédés. On peut penser ici à Queen et Freddie Mercury dont les "tribute bands" sont légion. On va à un concert "en hommage à" pour revivre une expérience musicale et passer une bonne soirée. Prendre du bon temps simplement. Le public se fout de ne pas avoir les originaux en face de lui. Il s'agit d'une mise en scène. C'est du théâtre, du cinéma, une sorte d'illusion collective acceptée par tous. Mais le phénomène des "tribute" est à mettre directement en relation avec le rock qui est produit aujourd'hui. Les Strokes, par exemple, sont une sorte de tribute au Velvet underground de Lou Reed. Comme je l'ai dit avant, la course au rock est ralentie. Du coup, le retour aux "classiques" semble naturel, ne serait-ce qu'en raison de leur disponibilité.
Si les "tribute bands" et le retour des papys du rock sont en relation avec la production rock d'aujourd'hui, peut-on y voir une tendance à long terme ?
C'est un peu la même chose qu'avec l'arrivée du CD dans les années 80. A ce moment-là les producteurs on pût se dire qu'il n'était pas judicieux de sortir beaucoup de nouveautés, que les gens allaient acheter des classiques et renouveler leur discothèque dans le nouveau format CD. Ce fût le cas. Aujourd'hui avec Internet, le public, et en particulier les jeunes, redécouvre un catalogue immense de disques. Du coup, les vieux routiers du rock ont la côte ainsi que les "tribute bands", mais on peut penser que ce "revival" se calmera dans quelques années, pour laisser davantage de place au rock contemporain chez le grand public.
Propos recueillis par Fab.
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