Pour certains, David Lynch est le Dieu Vivant du Cinéma. Pour d'autres, il est le plus fin des escrocs du septième art, capable de faire passer de longues incohérences pour des chefs-d'oeuvres hermétiques. Mais tous ou presque seront d'accord pour lui reconnaître un talent majeur, celui d'imbriquer les images et les sons. De ce point de vue, les 172 minutes d'Inland Empire représentent le sommet de son art.
Pour tous ses derniers films, le maître avait travaillé avec Angelo Badalamenti, qui lui avait fourni la plupart des symphonies schizophréniques de Twin Peaks, Blue Velvet, Lost Highway ou Mulholland Drive. Cette fois, Lynch vole de ses propres ailes. On connaît sa versatilité, ses débuts en tant que peintre, son amour du yoga et de la méditation, les mille et une formes qu'il peut donner à ses cauchemars... mais on connaît moins, il faut bien le dire, le Lynch musicien, auteur, cette année, d'un album forcément dérangeant, intitulé The air is on fire.
Au total, huit titres sur les 17 de cette bande originale sortie tardivement (quasiment un an après la première diffusion du film) sont issus du cerveau torturé du cinéaste. Parmi ces compositions lynchiennes, on retiendra surtout Ghosts of love, un blues industriel et ultra-éthéré où Lynch chante à travers un vocoder quelques couplets qui lui vont comme un charme : "Strange, strange, what love does...". Polish night music n°1, avec le pianiste Marek Zebrowski, se distingue aussi par la somptueuse opposition de cordes inquiétantes et d'un piano léger comme un rêve. Un morceau qui illustre bien la thématique du dédoublement chère au réalisateur, et qui s'applique à ce disque comme aux précédents.
On passe ainsi de la fraîcheur latine du fameux Three to get ready de Dave Brubeck aux sombres dissonances de compositeurs contemporains polonais tels que Boguslaw Schaeffer ou Krzystof Penderecki, de la naïveté sixties de Little Eva avec The Locomotion au rock astucieux de Beck et de son Black tambourine. Le disque (comme le film) s'achève sur Sinnerman de Nina Simone, déchirante prière au LORD qui tranche encore nettement avec le reste. Ceux qui connaissent le cinéma du bonhomme réussiront à trouver, à l'aide des images enfouies dans leurs crânes, une cohérence à ce foutoir sonore. Pour les profanes, l'écoute risque d'être plus éprouvante, voire complètement déboussolante.
Moins agressive que celle de Lost Highway (où figuraient notamment Nine Inch Nails et Rammstein), peut-être moins envoûtante que celle de Mulholland Drive, la BO d'Inland Empire, comme le film dont elle est tirée, s'éloigne encore un peu plus dans l'abstraction et dans la peur. Composant ses propres morceaux et piochant logiquement dans la musique d'avant-garde, le jazz et la pop, David Lynch plonge plus loin encore dans ses hallucinations et laisse chacun libre de l'accompagner, à ses risques et périls.
En bref : une B.O. en forme de bric-à-brac, entre soul, musique contemporaine et psychédélisme, pour faire l'inventaire de toutes les angoisses lynchiennes.
En bref : une B.O. en forme de bric-à-brac, entre soul, musique contemporaine et psychédélisme, pour faire l'inventaire de toutes les angoisses lynchiennes.
01. David Lynch - Ghosts of Love
02. David Lynch - Rabbits Theme
03. Mantovani - Colors of My Life
04. David Lynch - Woods Variation
05. Dave Brubeck - Three To Get Ready
06. Boguslaw Schaeffer - Klavier Konzert
07. Kroke - The Secrets of the Life Tree
08. Little Eva - The Locomotion
09. David Lynch - Call From the Past
10. Krzysztof Penderecki - Als Jakob Erwachte
11. Witold Lutoslawski - Novelette Conclusion (excerpt) / Joey Altruda - Lisa (edit)
12. Beck - Black Tambourine (film version)
13. David Lynch - Mansion Theme
14. David Lynch - Walkin' on the Sky
15. David Lynch/Marek Zebrowski - Polish Night Music No. 1
16. David Lynch/Chrysta Bell - Polish Poem
17. Nina Simone - Sinnerman (edit)
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