Un nouvel album de Daniel Darc est toujours un événement, ne serait-ce que par sa rareté, il y en a eu 5 en un peu plus de 20 ans - si l'on inclut celui co-écrit avec
Bill Pritchard. Et bien que 4 années seulement séparent ce nouvel opus du précédent,
Crevecoeur (2004), Amours Suprêmes est aussi l'opportunité de dresser un bulletin de santé de notre loser préféré.
Bon, l'humeur quoi qu'empreinte de fantaisie, n'est pas au beau fixe, elle est même un peu Darc, à l'image de sa pochette qui dans un magnifique portrait, ne prend pas la peine de mentionner le prénom de l'artiste ! Clin d'oeil au come-back triomphant de 2004 ? Peut-être. Il n'est plus besoin en effet de présenter cet auteur hors-normes dans nos contrées ; et il est par ailleurs quelque part rassurant au pays (hélas!)natif de Benabar et celui ( doublement hélas!) adoptif de Garou de voir le Darc inonder les gondoles à CD.
Comme on ne change pas une équipe qui gagne, Daniel a jugé judicieux de collaborer à nouveau avec Frederic Lo qui avait mis en musique et de fort belle manière on le sait, l'album précédent. Steve Nieve et Pete Thomas, légendaires Attractions, sont de l'équipée.
Deux faits marquants : la tendance toujours plus prononcée à l'épure. Darc s'affirme de plus en plus comme un folkeux et rejoint ses maîtres Johnny (Cash) et Bob (Dylan) dans leurs rêches aspérités, pas au niveau de la voix oh non ! mais dans cette manière acérée et sèche de délivrer ses mots (l'homme, on le sait, a le verbe imparable). Dès "Les remords" et son refrain abrupt, on pressent l'humeur peu badine de cet album où formules candides et imparables ("Quand je mourrai j'irai au paradis/c'est en enfer que j'ai passé ma vie" ), ("Un an et un jour mon amour, si personne ne t'a trouvée/ Je viendrai te chercher") côtoient formules plus faciles (le titre "La Vie Est Mortelle").
Cette sobriété assumée dans les arrangements en comparaison duquel le chef d'oeuvre de 1994, Nijinsky paraîtrait (c'est un comble !) presque surproduit, conduit Amours Suprêmes à certains écueils, à savoir que là où prime le texte, la mélodie fait parfois défaut.
Ainsi, et nonobstant l'étincelante musicalité du morceau-titre, sorte de blues lancinant imparable, du single mentionné plus haut, c'est peu de dire que le disque ne frappe pas par son immédiateté de composition. On a connu Frederic Lo plus inspiré que sur ce médiocre "La Seule Fille Sur Terre", suite d'accords bien convenue au piano -en fait, pompage éhonté du "Prettiest Star" de Bowie- et que dire de ce naufrage que constitue "L.U.V", rencontre au sommet avec un autre monstre sacré Bashung, pour ne pas le citer, où non content de nous infliger un embryon de mélodie, notre beau ténébreux décline une série de clichés en anglais (bâillements).
Sur pareil album, on l'aura compris, ce sont les mots les moteurs de la force, le meilleur exemple étant ce troublant, effrayant et très beau "Environ" ("Environ je dispose/De presque un peu moins que rien") qui clôture Amours Suprêmes et qui nous surprend à craindre le pire pour la santé mentale et physique -surtout- de Darc. Entre interviews tragi-comiques où l'homme convoque son intelligence à la lisière d'Alzheimer -il commence mais ne finit jamais ses phrases, oublie les questions en cours de route- et même si on l'imagine soigner son mythe forcément moins destroy sur disque, Darc se met en danger, on craint pour sa survie !
Ce n'est pas le moindre des paradoxes d'un artiste qui depuis peu, armé d'un chauffeur, d'un staff et d'une maison de disques dévoués à sa cause, n'a jamais paru plus funambule de sa destinée !
Pitié, Lord ! Encore beaucoup de Daniel Darc en têtes de gondole ces prochaines années, et sans lui faire injure, car ce compositeur lui a véritablement réinsufflé la force de faire des disques, peut-être un autre collaborateur que Lo serait-il le bienvenu pour le prochain opus !
En bref : un disque en demi-teinte du plus magnifique de nos rockeurs, avec quelques indéniables réussites ("Les Remords", "J'irai au Paradis","Un An et Un Jour", "Amours Supremes", "Environ"), mais dont les compositions ne rendent pas toujours justice aux superbes mots de l'auteur !
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