Ce mardi soir, je me rends à La Cigale, à Pigalle, pour assister au concert de Monsieur E, un petit corps malade.
Avec 10 minutes de retard, j'estime à faibles mes chances de trouver une place assise. Je me trompe. Mes "collègues de concert", coiffés de dread locks, m'invitent à prendre une bière, je ne refuse pas même si mon étonnement dépasse davantage mon envie. La population est inqualifiable. Des Parisiens, la trentaine, des Anglais datés, des jeunes nostalgiques et même quelques punks à crête fluo se côtoient dans une ambiance tendue.
Ceux qui sont là ne semblent avoir jamais vu Eels en concert, ou bien cela remonte à quelques temps- à sa mauvaise période. Je vous conseille d'ailleurs de vous rendre sur le site officiel pour connaître les détails tragiques du parcours de E (prononcez "i"). La modeste salle est plongée dans le noir. Un énorme projecteur balance les images du récent documentaire sur la famille de E, rapportant la quête du passé de son père, le grand physicien Hugh Everett - vous savez, celui qui proposa aux humains l'existence des mondes parallèles dans les années 50. On ne rigole pas, les témoignages de confiance affluent de la planète entière pour souligner l'importance de ses travaux. Voilà pour l'ambiance. Le film dure une quarantaine de minutes et s'épuise.
Sans transition, le voile blanc s'effondre, un petit spot rond pointe l'arrivée de E, en combinaison de mécano grise. Il s'installe et attaque illico à la guitare, le public stoppe brutalement d'applaudir. Tous les intermèdes se feront selon le même schéma, une ou deux secondes de répit avant d'enchaîner. Ca fait un peu bizarre aux oreilles de baigner dans un flot continu de musique, sans un silence. En fait, le public s'y fait vite. C'est vrai que E n'a jamais composé que des chansons aux dimensions tragiques et, dans ce cas, les plus courtes sont les meilleures. En une heure environ, on aura l'occasion d'entendre pas moins de 25 hits, parmi lesquels : Novocaine for the soul, Going Fetal, le fameux Beautiful Freak mais aussi le très pesant et pesé Mental, le classique It's a Motherfucker, le ludique I like Birds et j'en passe et des meilleurs, comme on dit.
E met un peu de temps à rentrer dans le concert, le public aussi. L'ingénieur son n'y est pas pour rien. Un coup c'est trop fort, un coup ça sature. Il faudra une bonne demi-heure pour trouver l'équilibre. Après trois morceaux en solo, E est rejoint par The Chet, multi-instrumentiste qui l'avait accompagné lors des tournées 2005 et 2006. Une magie opère entre ces deux-là. Lors d'un morceau piano/ batterie, un écart de E, qui semble avoir oublié les paroles, fait basculer la salle dans un spectacle-attentat (une tuerie quoi!). E s'arrête de pianoter, se tourne vers The Chet, l'air ahuri. Celui-ci a compris ce qui se passe, il n'a pas cessé de caresser avec violence et la grosse caisse et les cymbales. Il maintient le rythme. Mon imagination mystique me pousse à croire que E a vu, par-delà sa casquette au motif "tortue", un petit clin d'oeil de son ami. Il se lève, se place aux côtés de la bête, claque le rythme avec sa main droite, comme s'il voulait s'emparer de la baguette, ce qu'il fait - Mesdames Monsieur c'est énorme, le public est chaud - il saisit l'autre baguette, s'assoit. The Chet prend sa place au piano, ni une ni deux on est reparti. Un autre échange d'instruments viendra compléter cette folie scénique, très applaudie.
On aura droit à quelques autres fantaisies, comme cette annonce : "vous avez devant vous une rock star, le fils d'un génie de la physique quantique, et comme certains d'entre vous le savent probablement, un futur best-selling author - excusez du peu - avec la biographie que je viens de publier : Things the Grandchildren should know. Comme vous vous en doutez, je trouverai ça vraiment prétentieux d'en lire un extrait moi-même, c'est pour ça que je demande à Chet de le faire"!!!!! Ce qu'il fait!!!! Et tout repart!
Après une heure de chansons non-stop, les lumières s'éteignent sur la salle aux tons rougeauds. Deux rappels, demandés à grand renfort de clap clap, sifflements et tonnerre de pieds s'abattant sur les planches, refermeront la merveilleuse histoire de cet homme, décomposé pendant très longtemps par les disparitions successives des membres de sa famille et qui se recompose, lentement, albums, concerts, autobiographie et film-documentaire à l'appui.
En bref: Monsieur E, secondé par The Chet, subjugue une heure durant les passagers de la Cigale et renvoie tout le monde aux racines de la musique, mettant en avant ses émotions et sa passion des instruments pour se frayer un chemin onirique et doux dans ce Cruel World. Un grand merci!
Un extrait du concert de Manchester en février 2008:
1 Comment:
Chanceux... Tu sais ô combien j'aurais aimé être là, ça avait l'air bien, content pour toi.
A signaler pour les non fans la présence dans les bacs de "Meet the Eels", un Best of, et pour les fans "Useless trinkets", des face B.
Faîtes votre choix.
A+
Ju.
Post a Comment