22 mars 2008

Pascal Bussy - Kraftwerk, le mystère des hommes-machines (2004)

Nul n'est en droit d'ignorer Kraftwerk. Du moins, tel est le cas pour qui veut comprendre la musique moderne. Depuis bien longtemps le respect dû à ce groupe est acquis et légions sont les artistes rendant hommage au travail des « hommes-machines » de Düsseldorf. Leur musique, « techno-pop » selon leurs termes, a influencé des générations et des générations de compositeurs, évoluant dans des registres divers : rock, hip-hop, électro ou encore variété. Et, exercice magistral, fait d'une certaine façon le pont entre les recherches des compositeurs expérimentaux (de la spatialisation de Karlheinz Stockhausen à la répétition de Steve Reich) et la musique pop de grande consommation.

Entourant leur processus créatif d'un grand secret, déclinant à la chaîne les propositions de collaboration (David Bowie et Mickael Jackson notamment) et se murant dans un silence quasi-monastique, les membres de Kraftwerk, emmenés par les impénétrables Florian Schneider et Ralf Hütter, ont entouré leur oeuvre d'un épais voile de brouillard et de mystère. Suscitant par là admiration et curiosité. Pascal Bussy, journaliste de son état et responsable jazz chez Warner, tente dans son ouvrage de percer ce voile et de découvrir ainsi ce qui se cache derrière « Le mystère des hommes-machines ». Pour se faire, il recoupe de nombreuses interviews des membres du groupe et de leurs proches et les replacent dans un plan chronologique, rythmé par les sorties d'albums de Kraftwerk.


Le bouquin s'ouvre ainsi sur la rencontre au Conservatoire de Düsseldorf de Florian Schneider et Ralf Hütter, deux jeunes bourgeois, et sur les débuts de la scène rock allemande d'après-guerre. Les deux hommes partagent un goût prononcé et précoce pour la musique expérimentale. Le bruitisme de l'Italien Luigi Russolo, l'électroacoustique (musique composée à l'aide de sons enregistrés et/ou synthétisés) des Français Pierre Henry et Pierre Schaeffer. Sans oublier les oeuvres de l'Allemand Karlheinz Stockhausen ou de l'Américain Steve Reich. En 1968, Florian et Ralf forment Organisation, embryon de Kraftwerk, avec trois autres musiciens et dans une très grande proximité avec la formation Can.

Le groupe produit un album de rock progressif hypnotique en 1970, Tone float, puis se mue en Kraftwerk. Michael Rother (guitare) et Klaus Dinger (batterie), qui seront plus tard membres de Neu!, font partie de l'aventure. Nous sommes en pleine période « krautrock » (rock choucroute) et la scène Düsseldorfoise mène la danse. Sur ses deux albums éponymes (1971-1972), Kraftwerk ne déroge pas à la règle mais ne parvient pas vraiment se distinguer. En dépit de ses qualités évidentes, il demeure considéré comme un groupe de deuxième catégorie, éclipsé par les brillantes productions de Tangerine Dream, Ash Ra Tempel ou Can. C'est avec la rencontre du peintre et musicien Emil Schult puis la sortie d'Autobahn en 1974 que le virage artistique de Kraftwerk s'opère et leur permet de rencontrer un large succès.

Schult incite Florian et Ralf à adopter une identité visuelle forte. Ils commencent alors à se doter d'une image germanique très stylisée, qui va peu à peu devenir une de leurs marques de fabrique. La formation se fixe en un quartet. Les percutionnistes Wolfgang Flür et Karl Bartos composent la deuxième moitié de Kraftwerk, terme qui soit dit en passant signifie « Centrale électrique ». Avec Autobahn, le bon franchi dans le développement du groupe est considérable. Le quator se convainc que sa réussite passera plus certainement par la maîtrise des technologies les plus récentes que par le résultat d'un processus d'improvisation plutôt aléatoire. Schneider et Hütter se dotent d'un synthé « mini-moog » et s'y convertissent en mois de deux. A eux désormais, d'explorer tout son potentiel pop. Anecdote parmi tant d'autres. L'idée du premier morceau d'Autobahn viendrait d'une promenade qu'aurait fait le groupe dans la Volkswagen de Hütter, avec un magnétophone tenu à l'extérieur de l'habitacle pour enregistrer les bruits de la circulation.

L'album décline le thème de l'autoroute à travers des titres hypnotiques à la structure répétitive, tout en préservant l'aspect mélodique de la musique pop. Quelques paroles simples passés au vocoder sont égrénés sur une bande instrumentale où s'expriment à plein les synthétiseurs, percussions et sons électroacoustiques. Le disque se déploie entre la monotonie goudronnée de l'autoroute et celle de la vie ordinaire dans une sorte de romantisme électronique. Les « Beach Boys de Düsseldorf », surnom dont ils héritent rapidement, sont célébrés et leur album cartonne aux Etats-Unis.


Pascal Bussy met en perspective et questionne les témoignages du groupe et de leurs rares collaborateurs. Il parvient ainsi à nous faire plonger au coeur du processus créatif des Düsseldorfois. Pour autant, il ne perce pas à jour les personnalités complexes et équivoques de Florian Schneider et Ralf Hütter, clairement dépeint comme les leaders naturels du groupe. L'énigme subsistera. Le duo prend toutes les décisions pour Kraftwerk. Il fixe le timing des sorties d'albums, sélectionne ses collaborateurs et gère la communication. Il choisit par exemple de raréfier les performances scéniques, d'espacer les productions pour les affiner au maximum et de se cloîtrer dans son studio Kling Klang pour composer.

Dans Kraftwerk, le mystère des hommes-machines, nous sommes conviés à assister à chaque choix de Kraftwerk, à leurs longues périodes de composition et au travail minutieux mené sur leur image. A leurs réussites et accession au rang de star de la pop avec les albums Trans-Europe Express, Radioactivity ou Man Machine mais aussi à leurs demi-échecs avec Electric-Café ou The Mix. Je ne pourrais vous refaire toute l'histoire tant le parcours du groupe est riche. Pascal Bussy fait amende honorable et, avec son ouvrage, nous permet de parcourir la carrière de ce mythe fondateur de la musique. Un livre écrit sans brio mais avec rigueur et qui éclaire avec minutie l'oeuvre de quatre révolutionnaires. Ces hommes qui ont fait parler, pleurer, rire et crier les machines.


En bref : Percer le mystère des « hommes-machines » de Kraftwerk n'est pas tâche aisée. A défaut d'y parvenir totalement, si tant est que l'auteur est réellement souhaité le faire, ce livre nous permet de comprendre les choix du groupe et d'apprécier à sa juste mesure son impact décisif sur la musique moderne et contemporaine. Ne vous parlais-je pas de révolution ?





Allez faire un tour sur le site Internet de Kraftwerk, ça vaut le détour

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A lire aussi : Kraftwerk – Trans-Europe Express (1977)

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3 clips du groupe : "Trans-Europe Express", "Radioactivity" et "Die Roboter".










BUSSY (Pascal), Kraftwerk, le mystère des hommes-machines, Paris, 2004, Camion blanc, 245 pages, 20 euros.

1 Comment:

VadeZ said...

Merci merci merci...Rendons à César...
Il faut inculquer à tous la musique ou "expérience" Kraftwerk!