29 avril 2008

Hjaltalín - Sleepdrunk Season (2007)

Notre jeunesse blasée, née après les grandes apparitions, contrainte à n'écouter que des sons post-anything, peut se réjouir et s'émouvoir d'entendre la nouvelle énergie vitale d'Arcade Fire se répandre en floraison saisonnière dans toute sa sphère d'influence nordique, de ses pairs canadiens (Wolf Parade), à la Suède (Happiness), en passant ici par un gué islandais. En tant que premier symptôme, discret mais remarquable, Hjaltalín, groupe qui monte en son pays (Iceland Airwaves et passages TV) mais invisible ailleurs, est déjà bien précieux. Pourtant le groupe a tout de la formation twee, de virtuoses classiques aux envies de pop régressive, loin des clair-obscurs de la troupe montréalaise.
Sleepdrunk Season se présente comme un tourbillon de guitares, de choeurs, de cordes et de vents, pris dans une ronde à mener les mains en l'air. La première piste, instrumentale et théâtrale, pose l'horizon d'attente: Hjaltalín veut jouer de la pop en remplaçant le plus possible les guitares par des instruments classiques, avec un esprit proche de celui de groupes écossais comme Belle & Sebastian ou Camera Obscura. Anciens bons élèves bien élevés, on veut désormais jouer de la musique, se jouer de la musique. Alors on tire, on pousse, on se retourne, on questionne. Crescendo, decrescendo, en anglais, en islandais : nos chansons seront ludiques. Bingo, Uno, Famille! Le disque est à ce titre incroyablement réussi : l'auditeur, s'il accepte de se prendre au jeu, est physiquement pris dans la ronde, qui tourne dans un sens puis dans l'autre, toujours avec adresse, dans une joie bon enfant. Sur Traffic Music et Goodbye July / Margt Ad Ugga, la basse gambade, les mélodies sont fines, malicieuses, malines, délicieuses. Celui qui se prend au sérieux refusera de jouer à l’innocence manifeste, dès le départ repoussé par les voix masculine et féminine, instruments les moins maîtrisés de l’ensemble. Certes on pourra reprocher une certaine paresse d’écriture à mi-album, peu convaincu par Debussy et Selur, et leur jeu de répétition à l’envi, jusqu’à ce qu’on en comprenne la règle, comme inventée de toutes pièces à l’instant même : ces chansons s’apprécieront sur la durée, et on en redemandera d'ailleurs. Les tendances mielleuses de The Trees Don’t Like The Smoke peuvent rebuter, mais on acceptera néanmoins de la suivre, main dans la main ; on aimera d’autant plus le moment où, à mi-parcours, il faudra s’asseoir, fermer les yeux et rêvasser, encore tout étourdi d’avoir tant donné de la tête.

En effet de temps en temps, ici et là, le disque touche à un autre niveau. Au creux des vagues, façonnées au souffle, Hjaltalín impose ses rêveries d’adolescents lettrés, "wrapped up in books". Sleepdrunk Season est ainsi ponctué de doux passages, de parenthèses enchantées, à l’image du grave Kveldulfur. Entre deux élans baroques excentriques, I Lie est impressionnant de sobriété, et plonge l’auditeur dans une belle torpeur. Les cordes, pincées avec mesure, contrastent justement avec celle du chant. Il n’y a pas de sens unique. Ces petites dépressions sont autant d’appels d’air, qui permettent de repartir d’un pied plus fort.

Et c’est là, quand l’esprit twee rencontre une énergie électrique surprenante, née du triste et domptée en spirale ascendante, que l’album est le plus touchant. C’est celui d’une jeunesse qui a écouté les grands d’Arcade Fire ; la puce à l’oreille, ce sont ces guitares graves, ces roulements de batterie, ces lacés de violons qui foncent vers la fin des chansons. Ce sont ces grands élans de vie auxquels on donne tout puisqu’il n’y a rien d’autre. Hjaltalín semble, grâce aux maîtres canadiens, avoir entrevu les épreuves de la vie et de la mort sans les avoir traversées. On choisit l’innocence parce qu’on a peur, mais déjà on se défend contre ce qui nous attend. La composition de The Boy Next Door est dans ce sens la plus représentative : le naïf, le romantique, l’expressioniste. Nous les avons reconnues, ces grandes embellies diurnes, ce sont les mouvements de vie de notre jeunesse.

En bref : Pour les amateurs, de la pop baroque à chœurs, à cordes et à vents qui assume sa géographie et propose un jeu d’équipe rafraîchissant, entre l’esthétique twee écossaise et une énergie électrique bien canadienne.
La vidéo de l'onirique Sleepdrunk Season II :



Et Goodbye July/Margt Ad Ugga, mini tube dans une émission TV:

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