28 avril 2008

Interview - Bvdub

Soldat de l’ombre de la deep-techno, Brock Van Wey, alias Bvdub, vit à San Francisco. N’espérez pas pour autant, si vous passez dans le coin, le croiser dans les clubs de la cité californienne: le tatoué préfère rester seul dans sa chambre, devant ses machines. Là, il se plonge dans ses souvenirs, tente de s’accrocher aux instants évanouis, aux sensations sans cesse fuyantes. Et pour stopper l’insupportable écoulement du temps, il le fige dans une musique d’une épanouissante tristesse, entre dub futuriste - même s’il s’en défend- et house rêveuse.

Secret, il rechigne à parler des machines qu’il utilise ou des influences qui le nourrissent. Il préfère évoquer ses motivations intimes et métaphysiques. Profondes, en somme. Rencontre avec un type très deep.

Qui es-tu et comment as-tu rencontré la musique électronique ?

Je suis Brock Van Wey, je suis né et j’ai grandi dans la baie de San Francisco, en Californie. J’ai fait ma première rencontre avec la musique électronique en 1992 en entendant “Spice”, de Eon, tard la nuit lors d’un show radio mixé. Ça peut paraître très cliché, mais dès la première seconde, j’ai su que j’entendais quelque chose qui allait changer ma vie pour toujours. Je pense que quand on est jeune, on a souvent cette impression. Cette fois, c’était vrai.

Qu’écoutais-tu pendant ton enfance ?

Ça va probablement en surprendre quelques-uns, mais à l’époque, j’écoutais du heavy-metal. Mon voisin était plus âgé que moi et il me prêtait des disques d’Iron Maiden. Quand j’ai eu neuf ans, je suis allé au magasin du coin et j’ai acheté mon premier vinyl, “Shout at the devil”, de Motley Crüe. Ensuite je suis passé au trash et au death metal. A douze ans, j’allais tous les week-ends voir des groupes locaux comme Testament, Forbidden, Death Angel et Metallica. J’étais un gamin très enragé. Les concerts m’ont permis de voir que je n’étais pas seul dans ce cas.
Je pense qu’un paquet d’artistes techno d’aujourd’hui te diraient qu’ils ont grandi avec la musique électronique et la synth-pop des années 70 et 80. Pour ma part, je n’en écoutais absolument pas.

Quelles sont tes principales influences ?

Quand je m’asseois pour faire un track, la seule chose que j’ai à l’esprit, c’est la situation, l’émotion, la sensation que je veux transmettre. La musique que je fais est la bande son de ma vie - comme tout le monde, je suppose. S’il y a des influences, elles sont subliminales.

Comment travailles-tu ?

Je bosse dans un coin de ma chambre, j’ai une installation un peu bordélique. Désolé, mais je garderai pour moi mes petits secrets de fabrication. Pas parce que je pense que mon équipement ou mes méthodes sont géniales, mais parce que j’ai eu à passer par un tas d’essais et d’erreurs pour trouver le son qui fonctionne pour moi. Pour chaque personne, il y a un processus complètement différent. C’est nécessaire de passer par là.

On dit de toi que tu fais de la “dub-techno”. Que signifie cette musique pour toi ?

La deep-techno (et la musique “deep” en général) est tout pour moi. Tout ! Notez que je dis “deep” et pas “dub”, parce que je ne suis pas un artiste dub-techno. Beaucoup m’ont défini comme ça, et ça m’ennuie un peu. Je n’écoute pas de reggae ni de dub, même si ma musique est influencée par ces genres. Bien sûr, je mets du delay sur les accords, parfois... Mais est-ce que ça fait automatiquement de moi un artiste dub-techno ? Je ne crois pas. Peut-être que de nos jours la “deep-techno” et l’”ambient-techno” n’existent plus vraiment. Peut-être que je suis juste vieux jeu. Il me semble qu’aujourd’hui, dès que la techno atteint une certaine profondeur, elle est considérée comme “dub”. Mais tous les disques de “dub-techno” ne sont pas “deep”...














La plupart de tes morceaux sont tristes et nostalgiques. Comment l’expliques-tu ?

Il y a une raison très simple à ça. Je suis une personne très triste et nostalgique. Je l’ai toujours été. J’ai toujours passé la majorité de mon temps à penser aux moments passés que je ne pourrai jamais revivre, aux rêves et aux idéaux qui ne se sont jamais matérialisés, à ce qu’aurait pu être mon futur. Pour moi, il n’y a jamais réellement de présent car, techniquement, la vie est une série de souvenirs et d’espoirs. La musique permet la capture des instants passés tels qu'on se les remémore, ou des instants futurs tels qu’on voudrait les vivre. Que la chose se passe réellement, ou que le souvenir que tu gardes d’un moment soit exact, cela n’a pas d’importance. Parce que l’essence de ce moment restera pour toujours dans la musique... Et pour les quelques minutes que dure un morceau, tout ça devient vrai.

Tu as lancé récemment ton propre label, Quietus. On peut en savoir plus ?

J’ai lancé Quietus à la fin de l’année dernière pour mettre à dispo un forum, pour moi-même et pour les artistes que j’admire afin qu’ils puissent enregistrer la musique la plus personnelle possible. Une musique qui soit le reflet de ce qu’ils sont en tant qu’artistes et en tant que personnes. J’avais entendu trop d’amis me dire que leurs tracks étaient rejetés par des labels sous prétexte qu’ils étaient “trop ambient”, “trop deep” ou trop je-ne-sais-quoi. Moi-même, j’ai eu pas mal d’expériences similaires et, à force, c’est vraiment saoûlant.
Quietus est un label dédié au CD-R. Chaque disque est tiré en édition limitée. Ce n’est pas fait pour créer de la hype et de la demande, c’est simplement parce que je fais chaque copie moi-même, à la main. L’artwork de chaque disque est unique. Je prends moi-même la photo en écoutant le morceau en boucle dans mon casque, pour que l’image capture au maximum les sensations de la musique... telle que je la sens, du moins. Je veux que chaque disque soit une sorte de carte postale de l’artiste à l’auditeur. Tout ça prend un temps fou, mais pour moi, ça vaut le coup.

Parle-nous de la vie nocturne à San Francisco...

Je suis probablement la pire personne pour te parler de ça. Je n’ai pas foutu les pieds dans un club depuis plus de sept ans. Je suis probablement l’homme le plus casanier que tu rencontreras jamais. J’ai passé dix ans à écumer les fêtes underground, les clubs et les “house parties” tous les soirs de la semaine, que ce soit pour mixer ou pour faire la fête. Je m’en souviens comme des meilleures années de ma vie. Mais à San Francisco la scène underground s’est véritablement effondrée à la fin des années 90. Il n’y a plus que des clubs de house commerciale ou de trance progressive qui ne sont là que pour le fric. J’ai donc totalement cessé de sortir. En 2001 j’ai officiellement arrêté de tourner en tant que DJ. J’étais dégoûté de la tournure que ça prenait. C’est vrai que j’ai toujours été un peu casanier, mais, ces derniers temps, j’ai atteint des sommets. Je passe l’essentiel de mon temps dans la solitude de la grande ville, et j’aime ça.

Quel est ton programme pour 2008 ?

Beaucoup de choses excitantes... Des sorties en vinyl sur Styrax, Millions of Moments et Pronounce; mon premier disque ambient en long format sur Shoreless, mais aussi une sortie sur mon propre label, Quietus. Et puis il y a un projet sur Southern Outpost, qui vient d’être enregistré. Les 100 premiers exemplaires contiendront une version en cassette audio (avec deux bonus tracks).

Ta playlist du moment ?

1. Remote_ - Solitude (Smallfish)
2. Quantec - Thousands of Thoughts (Quietus)
3. Khonnor - Handwriting (Type)
4. Shuttle 358 - Understanding Wildlife (Mille Plateaux)
5. Fenton - Pup (Plop)
6. Sade - Lovers Rock (Epic)
7. Cottage Industries 4 (Neo Ouija)
8. Ezekiel Honig & Morgan Packard - Early Morning Migration (Microcosm)
9. Boy is Fiction - Boy is Fiction (List)
10. Norken - Our Memories of Winter (Combination)

Propos recueillis par Dave

Le site (très dépouillé) de BvDub
Son MySpace
Le site de Quietus Recordings

Le MySpace du label

A lire aussi : Styrax / Various Artists - In loving memory 3:4 + BvDub - Requited love (2007)

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