Bref exercice d’admiration, pour ce morceau inaugural du sublime Return to cookie mountain, deuxième opus du désormais quintet TV On The Radio. Le groupe est singulier à plus d’un titre. D’abord parce que le producteur des deux albums, David Sitek, est aussi un des musiciens du groupe. Le problème de savoir quelle est la part du producteur dans le rendu final est donc réglé. Multi-instrumentiste et grand maître des effets en tout genre, c’est à lui qu’on doit toutes ces ambiances post-rock, bourdonnements, vrombissements, électrisations, mais aussi de nombreuses interventions instrumentales, de la cythare électrique à la clarinette, en passant par les percussions. Sitek met son talent au service d’un projet clairement avant-gardiste : « je hais les roulements de batterie et les solos de guitare qui font l’ordinaire du rock». Mais la singularité du groupe tient aussi à des lignes mélodiques assurées par deux chanteurs exceptionnels : Tunde Adembimpe, chanteur puissant à la tessiture imprévisible, et Kyp Malone, haute-contre pas très orthodoxe mais bouleversant. Deux voix et deux techniques vocales très différentes, tantôt en canon, tantôt à l'unisson, et qui, souvent, se mêlent, et parviennent à se fondre, à s’indifférencier. Malgré tout ce qui les oppose, l’individuation de l’une et de l’autre n’est jamais garantie : «We are in the same bed but with different bodies », dit l’une des chansons du premier album (Poppy).
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I was a lover - before this war, donc. Attention, this is not a love song ! «Nous ne sommes pas un groupe politique, mais nous ne pouvons ignorer le monde qui nous entoure. La littérature, le cinéma, se sont emparés de ces questions ; mais la musique des années 2000 ne parle que de baiser et planer... Nos disques parlent de baise, mais aussi de comment on se fait baiser», balance Sitek. Dans cette chanson, en effet, on ne baise pas : on A baisé (i was a lover), mais on ne peut plus, quelque chose s’est cassé, quelque chose du désir est mort. Un certain état du monde brise l’élan amoureux, bloque les forces désirantes, et condamne le sujet à ressasser le passé. La guerre fait bander Bush et ses généraux, mais pas vraiment nos artistes de TV On The Radio. Bowie n’avait pas tort en affirmant que leurs textes rappelle la prose poétique de la beat generation. Comme l’ont souligné Deleuze et Guattari, peu d’écrivains ont aussi bien révéler la capacité de la libido à investir ou des-investir le monde, à être en prise directe avec lui, y compris avec la guerre ou la politique, au delà du coït génital, «misérable petit secret» à quoi l’on réduit la sexualité (Lawrence).
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La rythmique donne d’emblée le ton : ça martèle et ça explose, c’est faussement funky, c’est chaloupé mais, désolé, on ne dansera pas, ou alors une danse des morts. Une esthétique de l’anesthésie se met en place : la guitare est bloquée sur deux notes, tandis qu’un saxo commence une phrase musicale coupée net, comme si quelqu’un avait débranché brutalement la sono. Cette phrase avortée sera la structure rythmique, plus que mélodique, du morceau. Alors qu’un spasme électrique rajoute à l’ambiance déjà en place, les chanteurs attaquent en voix de tête, puis basculent subitement dans les graves, tandis que la guitare tient toutes ses promesses : elle ne produira ni notes ni riffs, mais un déluge, un magma, une nappe sonore indifférenciée, comme un bruit blanc, avec quelques soubresauts dans les aigus. On est saisi par cette présence incarnée de la guerre, brutale, mortifère, mais comme en retrait, comme le décor de la confession, portée, elle, par une voix qui se met en avant. Que ce soit l’art de Malone à la guitare, ou celui de Sitek à la production, le son est traité comme un décor, un fond, un arrière plan, et l’album entier joue de ces effets d’éloignement du son (écoutez les claviers de Province). Puisque nous sommes invités à saisir l’image au travers du son, par le titre même du groupe, on pourrait aller jusqu’à parler de profondeur de champ (sonore). C’est, en fait, très exactement la position de l’Amérique, qui n’ a jamais connu de guerre sur son territoire, mais toujours au loin (d’où le trauma du 11 septembre). Quelques notes de piano, elles aussi martelées, en guise de break, portées par de puissants coups de tambours ; on est très loin du piano élégiaque de Province. Le morceau, au final, réussit, à exprimer une violence inouïe, décuplée par la poésie des mots et la puissance évocatrice des sons ; violence d’un récit qui dévoile le processus inexorable d’une fêlure intime, mais aussi le dégoût et la révolte. La beauté qui s’en dégage a quelque chose d’étrange, comme l’est toujours la beauté des avant-gardes artistiques.
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Le Myspace
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Bon, on est d'accord, le véritable titre, c'est I was A Lover, simplement, hein ?
RépondreSupprimerSinon, que dire que tu n'aies si brillamment exprimé ? Morceau génial, groupe génial, album (de l'année) génial, chanteurs géniaux,etc,etc...j'en jette encore ?