Je serais passé à côté de cette petite merveille si le vendeur du rayon soul-funk de la Fnac Bastille n’avait pas eu la judicieuse idée de la placer en tête de gondole. Hommage respectueux et ardent au son Blue Note, Kind Soul est un réservoir à breaks sorti de l’imagination d’un des jazzmen finlandais les plus créatifs, le batteur-producteur Teppo “Teddy Rok” Mäkynen, membre et tête pensante du Five Corners Quintet et du Teddy Rok Seven. Entièrement organisé autour d’un son de batterie brut et massif, d’une basse groovy et d’un vibraphone, l’album fait écho aux meilleurs métissages hip-hop / jazz-funk et notamment au Shades of blue de Madlib, à la différence que ce dernier était bourré de samples alors qu’ici, tout ou presque est joué live, dans un esprit garage garant d’une précieuse spontanéité.
C’est en 2007 que Teddy Rok décide de sortir de l’obscurité Isiah et Dwayne Stance, ainsi que leur batteur Byron Breaks en leur proposant un projet d’album sur son label Rick Tick records. Auteur de toutes les compositions, excepté le splendide "Capricorn" emprunté à George Duke, il supervise également l’enregistrement et place les micros au plus près de la caisse claire, de sorte que la batterie est vraiment au centre de l’univers sonore du trio. “Roll call” est un bon exemple de ce choix stratégique. Globalement, l’humeur de Kind Soul est estivale et évoque le son du jazz west coast de la fin des années 1960, et notamment Cal Tjader ou le Roy Ayers période Stoned soul picnic (1968). Si l’album s’écoute d’une traite et ne comporte aucune faute de goût, on retiendra néanmoins le clin d’oeil à Lalo Schiffrin de “Steve McQueen”, le funk gentiment psyché d’”Upside the head” et le voluptueux “Cool hand / Turmoil”, sur lequel on verrait aisément Barry White poser sa voix de velours.
En bref : Très loin de la mélancolie scandinave, ce trio finlandais réinvente le jazz californien des 60’s dans une rafale de breakbeats sertis de vibraphone. Simplement classieux.
A noter : Depuis la sortie de Kind soul, The Stance Brothers ont accouché du très recommandable single "Pick 'n' Roll / Youth Groove", à écouter sur leur Myspace.
On retiendra tout d'abord l'étonnante pochette bondage dont Tricky et Madvillain sauront se souvenir au cours des années 2000. Mais qui se cache derrière ce groupe de freaks, dont on ne sait finalement peu de choses ? Un orchestre noir du début des 70's, auteur de ce premier lp ainsi que d'un 45 tours plutôt rare, sans même parler d'un deuxième LP ultra collector tombé aux oubliettes. Tout cela sonnait à la croisée des chemins d'une jam entre Hendrix, Funkadelic, Sly and The Family Stone, bref tout ce qui comptait dans la musique noire de l'époque.
Demon Fuzz est un octuor dont Passy Correa ci-devant saxophoniste, flûtiste et percussionniste du groupe est le mentor du groupe, son arrangeur et une sorte de directeur musical.
Constitué de 5 longues pièces, tantôt instrumentales, tantôt chantées, Afreaka! (tout est dit dans le titre) estencore aujourd'hui d'une étonnante modernité, tant ces lascars-là mettaient un point d'honneur à faire sonner leurs instruments, les emmenant quelquefois vers une voie inédite. D'ailleurs, c'est bien simple, les guitares brisées et crades de l'intro de "Past Present And Future" auraient pu sans problème être l'oeuvre d'un groupe post-punk. Ensuite, l'orgue, les guitares, les cuivres interviennent, et l'on pense aussi parfois à Zappa, dans les déclinaisons acid jazz que s'octroie le groupe.
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Dès "Disillusioned Man" où le chant fait son entrée fait son entrée, il n'est plus question que de digressions acides, et ceci est annonciateur des géniaux Meters, déjà en gestation et auteurs de disques, mais dont les grands oeuvres ne vont pas tarder à émerger. "Another Country" donne l'occasion à la section rythmique de briller ; tout ceci est très groovy.
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La deuxième face, plus introspective, est également écologique et "Hymn To Mother Earth", d'une certaine façon, est annonciatrice des futurs albums empreints de spiritualité propres à la décennie dorée. Si l'on doit trouver un pendant français à ce groupe et ce disque de rock psychédélique, le nom des également mythiques Chico Magnetic Band viendra inévitablement à l'esprit. Vive la musique noire, vivent les freaks.
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En bref :on ne dira pas de ce disque qu'il fut fondateur tant le nombre de disques sonnant ainsi fut légion à l'époque , il n'empêche que ce disque, véritable OVNI et incunable de l'époque - avidement recherché par nombre de collectionneurs avisés - est à (re)découvrir toutes affaires cessantes.
Tricky à la croisée des chemins ? C'est ce que l'on peut penser lorsque sort ce 5ème disque (en comptant le projet Nearly God) : c'est la fin de sa collaboration avec sa muse Martina Topley-Bird et Island il ne le sait pas encore, est sur le point de lui rendre son contrat. Ce sera d'ailleurs le début d'une période de vaches maigres pour celui qui avec Neneh Cherry, Archive, Massive Attacket quelques autres aura quelque peu fait reposer son fonds de commerce sur le trip-hop, genre musical destitué entre tous après la période de gloire.
Or, de tout cela, Tricky a choisi à bon escient de faire table rase avec Juxtapose. C'est sur les bases d'un album concis et avec les renforts du Cypress Hill DJ Muggset du producteur Grease que Tricky choisit de remettre les pendules à l'heure. Nouveautés ? Elles sont au nombre de deux ; car outre l'éclectisme avoué du disque, l'aspect grunge de"For Real", ce sont des guitares parfois métal qui se taillent la part du lion ici et qui confèrent au disque un tour mélodique assez inédit chez Tricky. D'ailleurs la très nerveuse "Hot Like A Sauna" a droit à une deuxième version métallique en fin d'album. On retrouve aussi parfois ce souffle rauque et tendu des premiers albums sur "Bom Bom Diggy" ; mais dès l'intro de "Contradictive" jalonnée de guitares acoustiques, l'album respire à nouveau. Avant de repartir de plus belle sur un rythme échevelé avec l'haletant "She Said".
Le flow infernal de DJ Muggs est omniprésent sur "I Like The Girls" et la première version de "Hot Like A Sauna" . Les claviers prennent le relais sur deux morceaux angoissés magnifiques "Wash My Soul" et le piano hanté de "Scrappy Love", obsédant et martelant.
A une époque extrêmement bavarde où beaucoup d'artistes se croient obligés de charger jusqu'à la gueule leurs CD's pour mieux faire avaler la pilule du prix exorbitant aux acheteurs potentiels, Tricky rappelle à point nommé qu'il est le seul de la vague trip-hop, à avoir quelque chose à dire sur une durée concise et à pouvoir se délester du poids encombrant de son passé. Ce magnifique disque ne sera pas confirmé lors des deux essais suivants, le très décevant Blowback (2001) qui n'aura de soufflant que le nom, et le "en pilotage automatique" Vulnerable (2003) album pas désagréable mais mineur.
Une fois retenue la leçon, il faudrait à Tricky 5 longues années pour refaire parler de lui avec l'excellent Knowles West Boy.
En bref : du très bon Tricky, efficace, mélodique, varié. Son meilleur disque ? Poser la question, c'est déjà y répondre.
Mes dernières réticences concernant Lindstrøm se sont définitivement évanouies. Séduit par sa douzaine de maxis sans être foncièrement convaincu (sauf par Breakfast in heaven et I feel space), j’ai été totalement emballé par ce disque dès la première écoute. Le concept de ce premier véritable album - It’s a feedelity affair étant composé de maxis préalablement sortis - est simplissime : un trip sidéral et sidérant entre météorites et étoiles filantes, conçu comme une suite en trois longues parties. Le tout traversé par un vent de glorieuse folie qui en fait (déjà) un des prétendants au titre de meilleur album de l’année dans sa catégorie.
Alors que ses 12” étaient essentiellement taillés pour le dancefloor et n’excédaient généralement pas les 7 minutes, Hans-Peter Lindstrøm donne corps à son souhait d’élaborer des espaces sonores plus amples avec un titre inaugural épique : 29 minutes à gravir des escaliers en colimaçon dans le vide interstellaire, un arpeggiator moroderesque à rendre les armes, et une pelletée de références digérées (Klaus Schulze, Manuel Göttsching, Jean-Michel Jarre...). Construite par strates successives, cette plage au tempo relativement lent en appelle à l’imagination de chacun, lui laisse le temps de penser et de se forger son propre mode d’écoute. Peut-être peut-on interpréter le titre de cette manière : “Where you go I go too” serait la formulation d’un désir, celui de s’adapter aux images mentales de chaque auditeur, de le suivre dans son trip.
Le second mouvement de cette symphonie cosmique est le plus pêchu et le plus acide. Long de “seulement” dix minutes, “Grand ideas” présente moins de variations et de détails que son prédécesseur, mais se déguste avec jubilation comme un pont entre les deux pièces principales du disque. Pour finir, le boss du label Feedelity nous assène 15 minutes psychédéliques très early 80’s qui sonnent comme un coucher de soleil artificiel sur une réserve de flamants roses. Titre chimique et estival - dommage que l’album, prévu pour juin, ne sorte que le 18 août ! - “The long way home” rappelle certaines compos du génial Jan Hammer et surtout ses prods pour Miami Vice. Lors de récentes interviews, le Scandinave recommandait l’écoute de son nouvel opus lors de longs voyages en train ou en avion. J’ajouterai simplement que le voyage immobile, à l’abri d’une bonne couette, s’y prête également à merveille.
En bref : Le space disco de Lindstrøm en cinémascope. Pour son premier vrai album, le surdoué norvégien livre trois plages immenses dans lesquelles on n’a pas fini de se perdre. Un futur classique, à n’en pas douter.
Lorsque paraît le 8ème album (hors compiles) de Stereolab en janvier 2004, le groop -tels qu'ils aiment s'orthographier- sort d'une période tourmentée, puisque son clavier Mary Hansen vient de décéder, lors des fêtes de Noël de la manière la plus navrante qui soit (mais en est-il d'intelligentes ?) : renversée lors d'une balade à vélo dans les rues de Londres. Ce nouveau disque, le dernier en date, lui est affectueusement dédié, jusqu'au diminutif de Marge présent dans plusieurs titres. A sa sortie, Stereolab qui sort de plusieurs disques en demi-teinte, fournit par ce triste fait divers du grain à moudre aux aficionados les plus indécis/
Membre de longue date qu'elle était, Mary Hansen n'a jamais fait de l'ombre au noyau du groupe, le binôme alors en scène comme à la ville Tim Gane/Laetitia Sadier. Multi-instrumentiste discrète, ses backing vocals bien que reconnaissables, n'étaient pas à ce point dépositaires du son Stereolab, d'ailleurs l'on défie quiconque de noter la différence sur ce disque où Laetitia se dédouble. Non, au-delà de la perte humaine, c'est aussi la vision de cette australienne aux cheveux de feu qui reste à l'esprit.
L'atmosphère, sourde et dépressive ? Que nenni. Jamais disque de Stereolab n'avait paru plus solaire, plus apaisé. Déjà, le formidable et volumineux EP "...Sudden Stars" avait donné le ton, conjointement à la démise de Mary. Margerine Eclipse est un disque fourmillant de trouvailles sonores, de passionnants interludes entre les morceaux, toujours dans cette atmosphère lounge qui caractérise le groupe. Mais ce qui est nouveau depuis quasi une décennie, vraisemblablement depuis l'excellent Emperor Tomato Ketchup (96), c'est que Stereolab a songé à se pencher sérieusement sur l'écriture de chansons, sur un ensemble qui fait bloc, et tient la route sous forme d'album magistral.
Toujours cette myriade de claviers, sonorités de Korg et Farfisa acidulées, ces basses rondes et cette batterie souple et élastique, mais à nouveau au service de chansons charmantes, irrésistibles, sucrées, avec un très léger voile de mélancolie pour certaines, mais toujours avec cette dynamique dansante, swingante propre à Stereolab.
De "Vonal Declosion" à "Dear Marge", que du bonheur : "...Sudden Stars", l'un de leurs plus féeriques singles est bien entendu inclus. Le groop, très inspiré, balance de redoutables intros à ses morceaux qui fonctionnent comme autant d'hypnotiques ritournelles. Et puis, hein, avait-t-on déjà entendu Tim Gane faire hurler ses guitares comme sur le teigneux "Margerine Rock" depuis les plus belles heures d'Emperor Tomato Ketchup - et là on pense aussitôt à 'The Noise Of Carpet". Quand enfin au détour du roué "Bop Scotch", Stereolab parvient à retranscrire très librement un incunable northern soul de Sandi Sheldon, l'on se dit que ce groupe n'était peut-être pas ce collectif bobo et intellectuel que certains avaient hâtivement cru bon de désigner. Margerine Eclipse même suivi par le très bon Chemical Chords (2008)allait cependant préfigurer le chant du cygne du groupe. Un long hiatus avant la reformation tardive.
En bref : Stereolab délaisse enfin son krautrock devenu encombrant pour livrer son album le plus abouti à ce jour. De la musique d'ascenseur, mais de qualité.
Dans le registre des curiosités, le groupe californien Bodies Of Water (j’adore ce nom) qui sort cette année deux albums coup sur coup (dont celui-ci, le premier, à la pochette folk délavée), autoproduits et simplement relayés par le très bon label Secretly Canadian. Un groupe quasi familial (David et Meredith Metcalf) qui cite volontiers l'âge d'or du gospel (1947-1954) comme influence majeur d'une pop lumineuse et surorchestrée. A entendre les premières minutes on a l'impression que les choeurs de l'Armée Rouge ont sorti un album. Immense, le son Bodies Of Water ne se charge ni en modestie ni en intimité et gagne à être pris au second degré. Un premier disque où la voix domine tout et où souffle tout le long un vent épique et grandiose. Et même si c'est moins intense (car moins blessé) que Funeral, on n'avait rien ressenti de tel depuis "Rebellions Eyes" lorsque la mélodie s'emballe sur "These are the eyes".
Un simple quatuor donc, qui met les grands plats dans les petits et use d'harmonies vocales improbables pour un disque de chorale enthousiasmant. D'éducation chrétienne sans tomber dans le côté grenouille de bénitier, c'est plutôt dans le penchant néo baba communautaire type I'm From Barcelona qu'il faut aller chercher les liens familiaux. Se payant même le luxe de remettre Abba au goût du jour sur "Doves circled the sky", cuivres, cordes, rebolo et pandeiro (?) insufflent une joie non dissimulée, tout comme les Oh oh oh de "It moves". Un disque d'une heure quand même qui donne la part belle aux élans lyriques et endiablés. Le deuxième, sorti ce mois-ci, serait mieux produit et moins pompier. Un choix à priori judicieux, vu comment le groupe traite les chansons les moins chargées comme "Roar, Roar Roar", où l'émotion à fleur de peau semble vouloir jaillir mais se retrouve bloquée par tant de grandiloquence. Finalement pour notre plus grand plaisir.
En bref : Une heure de cantations pastorales pop assénée par quatre babas ensoleillés. _ _ _ Le Myspace
Rassasié de rock' n' roll par les concerts de la veille, la journée de samedi n'est plus qu'un bonus. L'occasion de découvrir en vrai le canadien Patrick Watson et son falsetto si particulier. Plutôt calmes et torturées, les compositions peinent à charmer l'auditoire qui ne connait pas. Pour ma part je suis satisfait du spectacle, parfait pour me metre en jambes. Je passe ensuite agréablement surpris devant la scène de The Do qui semble avoir un cercle de fan déjà bien établi. Même si aucun morceaux ne sort du lot à mes oreilles, il faut reconnaître que c'est plutôt agréable à entendre. De même pour le blues péchu des Bellrays, un peu plus haut sur la scène des Valettes.
Mais la soirée commence véritablement à 22h lorsque Pelle Almqvist et sa bande investissent la grand scène sous un écriteau lumineux du plus bel effet, engoncés dans des costumes déjà bien rodés. The Hives joue vite et fort et le public semble adorer. Pelle Almqvist n'est pas à court d'excentricités (il escalade les murs d'enceintes, balance son micro en l'air façon Philippe Risoli...) et les photographes présents se concentrent pour capturer l'énergumène en l'air lors d'un de ses nombreux sauts façon ninja. Assez renversant à vrai dire. Et c'est au frêle Adam Green que revient la lourde tâche de s'intercaller entre les Hives et les Stooges (sic). Il réussit à moitié en puisant dans les titres les plus rythmés de son répertoire, non sans s'autoriser une petite disgression intitulée Jessica Simpson.
Enfin le voilà, le fameux lézard sexagénère, flétri mais en forme. Légers frissons sur I wanna be your dog, forcément. La bête comme à son habitude court, saute, tourne et donne du fil à retordre à la personne exclusivement chargée de suivre l'iguane pour démêler son micro. Comme sur ses autres dates françaises, Iggy invite une partie du public sur scène pour un No fun déjanté, puis lors d'un des rares rappels du festival (dommage!) applique une deuxième couche (nécessaire?) de I wanna be your dog, version bite à l'air cette fois ci. Content de l'avoir vu quand même, Iggy je veux dire. Peaches Dj set et Birdy Nam Nam clôturent la soirée de manière plus électronique, presque au même niveau que les justiciers crucifiés de la veille. Pour sa deuxième édition, la Garden Nef Party d'Angoulême confirme aux yeux de tous qu'il est désormais le meilleur festival français de ce type. On reviendra.
Alors que certains nous racontent leurs émois festivaliers ou nous invitent à nous trémousser sur fond d'acid jazz, je vous propose une petite douche froide : Des jeunes gens modernes, Post-punk, Cold-wave et culture növo en France (1978-1983). La presse s'est largement fait l'écho de cette rétrospective parisienne consacrée à la scène underground française du début des années 80, et les trentenaires naïfs (dont je suis) découvrent la richesse de cette scène, qui ne se résume pas à Taxi girl .
L'underground musical français me passait bien au dessus de la tête en 83, trop affairé à mes singles de Breakmeuchine et à la messe hiphop dominicale dite par l'inoubliable Sydney («Mes frères et mes sœurs, on tape dans ses mains, avec les Paris City breakers, yeah!!, pardon, je divague). La compil CD est pléthorique, et certains noms ne nous sont pas étrangers (Taxi girl, Marquis de Sade, Elli et Jacno), mais la version vinyl ne fait aucune concession, resserrée autour de quelques groupes totalement obscurs pour le néophyte : Tokow boys, Lizzy Mercier Descloux (!), Henriette Colouvrat (!!), et j'en passe. Chouette! il doit bien y avoir là dedans quelques perles insoupconnées.
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La période a ceci de fascinant qu'elle constitue une sorte d'affolement avant-gardiste avant la plongée en apnée des 80's : les groupes prolifèrent, à Paris et en province, porteurs de projets esthétiques radicaux et corrosifs, s'emparent des synthétiseurs, des boites à rythmes et des premiers séquenceurs avant que ceux-ci finissent lamentablement dans la variétoche kitsh, mièvre et inoffensive si typique de la décennie. Comme s'il fallait se défouler avant la grande glaciation, «le grand cauchemar des années 80», comme le dit François Cusset. Ces jeunes gens modernes sont en France, sur le plan musical, ce qu'on peut sauver d'une décennie qui fera de la culture un ensemble de pratiques et de discours fédérateurs, décoratifs et consensuels, à mille lieux de ce que peut être la culture en tant que puissance critique.
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La Face A nous réserve deux perles cold-wave bien glacées : Ersatz, de Guerre froide et Man of time, de Kas product. Les paroles d'Ersatz, superbement laconiques, disent les mots des lendemains qui déchantent: «Quand plus rien ne m'étonne je flirte avec la folie....des vaisseaux rouges éclatés se noient dans le blanc des yeux... ». Guerre froide nous sert une électro cold -wave minimale radicale : boite à rythme famélique, ligne de basse sobre et synthé puissant et granuleux. Ca sonne quand même autrement qu'un synthé d'Indochine. Man of time nous glace le sang par sa rythmique et sa guitare affolées, accompagnées de nappes synthétiques avortées et gémissantes, et de la voix, magnifique dans les graves, de Mona Soyoc. La synthpop n'est pas en reste, avec l'étrange et un peu fou torso corso, de Lizzy Mercier Descloux, et surtout le trés jazzy mots, de Ruth, groupe totalement inconnu de mon cyberespace (quelqu'un connaît ?), avec sa trompette bouchée qui passe en boucle et se libère au final.
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La face B déçoit un peu. Certains groupes ont du mal à éviter la pause déclamatoire et les textes creux. Texte confus et un brin prétentieux pour Ice et sa Grande guerre (on est pas loin de Isabelle a les yeux bleus, la parodie d'Indochine par Les Inconnus). La chanteuse de Mathématiques Modernes marmonnent son texte de façon inaudible, sur fond de synthé, tandis que Metal Boys (ex Métal urbain) nous inflige une fastidieuse et incompréhensible attente au tokio airport, où visiblement les avions ne décollent jamais tout comme la chanson. Détruire la pop, moi je veux bien, mais à tout prendre je préfère la non-parole, le cri primal d'Alan Vega que toutes ces élucubrations inaudibles. Reste l'humour de Mécanique Rythmique, et sa conception trés particulière de l'extase, et surtout le trés classe Charles de Goal qui nous ressert une dose de minimalisme cold, sans emphase gothique ni pleurnicherie de commande.
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En bref : Un disque inégal, probablement à l'image de cette scène trés prolifique (n'est pas Taxi girl ou Joy Division qui veut), mais qui donne trés envie de mieux connaître certains groupes. Idéal pour frimer dans la conversation.
Après le faste des costumes princiers des grandes tragédies, la revanche
dépouillée, des sous-pulls roses et des éclairages monochrome.
Ce soir, nous est donnée l'occasion d'aller à la rencontre de deux artistes décalés, Mathilde Monnier et Philippe Katherine dont la chorégraphie on ne peut plus moderne et la pop excentrique frayent respectivement leur chemin dans un lieu mythique entre tous, j'ai nommé la Cour d'Honneur du Palais des Papes.
Si l'on connaît surtout e la première le parfum sulfureux drainé par ses précédentes créations en Avignon, l'univers pop et loufoque du nantais est bien familier ; il est du reste ce qui motive notre présence en ces lieux, ainsi que celle de Domi et Nini.
Pas grand chose à dire de ce spectacle écrit en 2005 et présenté pour la première fois un an plus tard, et dans un sens tant mieux ; celui-ci est de fait inspiré de la genèse du très roboratif Robots Après Tout (2005), l'album qui a véritablement révélé Katerine au grand public.
Ceux l'ayant usé jusqu'à la corde (enfin, jusqu'au sillon !), savent de quoi il retourne lorsque les 5 danseuses et danseurs vêtus de noir se mettent à psalmodier sur cette scène vaste pour eux, des bribes d' "Etres Humains". Tout ce curieux ballet, à la fois anachronique et disparate, mais sans doute très étudié sous ses airs "libres", consiste en un télescopage sans fin des musiques et textes de Katerine pour l'essentiel issus de Robots... - on distingue aussi une citation de "Jésus Christ Mon Amour" mais hélas pas de "Je Vous Emmerde" (NDA)- le tout dans une osmose perpétuelle des corps, des voix de ces danseurs improvisés (plutôt bien !) chanteurs, tandis que Katerine s'adonne sans retenue aucune, tout en assumant parfaitement un embonpoint naissant, à certaines gesticulations, roulades et autres pas.
Pour déroutant que soit le spectacle qui s'adresse avant tout aux aficionados du chanteur -j'y reviens à la fin de cet article- on se laisse porter, passés les premiers instants de rigolade bouffonne un peu gênants, et même transporter par ces enchaînements de mots mettant en scène la vie de tous les jours. Les paroles de Katerine, sur des bandes-son, nouveaux arrangements ou simples accompagnements rythmiques, confinent à l'absurde, en une forme de mise en scène dérisoire et poétiques de nos vies.
C'est en ce sens que le spectacle revêt plus d'attrait au fur et à mesure de son déroulement, certains titres fonctionnant sur le mode du cut-up, s'enchevêtrent en des non-sens fascinants - l'on pense au "Variations sur Marilou" de Gainsbourg, lorsque sur le fameux "Louxor j'adore", Katerine décline de manière un peu trop complaisante il est vrai (car la version très étirée en devient assommante) son texte. Là, deux textes de chansons se superposent, ici le bourdonnement rythmique de "Borderline" emprunte les paroles du "20-04-2005", soit l'inénarrable "Marine Le Pen Non, Non/Tu le Crois Pas, Tu le Crois Pas".
L'un des passages les plus intéressants reste celui où sur "Numéros" - Katerine qui se dit fâché avec les dates et les chiffres a sans doute voulu exorciser quelque chose, car son oeuvre en est truffée ! - à l'unisson, les danseurs accompagnent la mélodie du chant, litanie de chiffres, en faisant eux-mêmes l'accompagnement rythmique d'ordinaire dévolu aux claviers.
Le spectacle se termine sur un curieux matelas gonflable sur "78-2008", seul morceau diffusé en play-back sur lequel Katerine et ses ami(e)s essaient de reconquérir un équilibre précaire sous fond de mer déchainée, chacun y verra l'interprétation qu'il veut, y compris un libre démarquage d'Intervilles (!) ; ce morceau, l'un des plus réussis de son auteur, est une vision très récente d'un progrès incertain (mais 1984 n'a-t-il pas été écrit en 1948 ?) 2008 Vallée est empreint d'un fort narcissisme, mais on retient avant tout qu'une très large majorité du public rit et se délecte d' une musique qui lui est familière. N'est-ce pas là le plus important ?
A ce titre, la présence d'un public très coincé et rompu aux oeuvres classiques, conduit régulièrement à des échos hilarants de festivaliers outrés par le non-académisme du spectacle. Pas fan de Katerine, s'abstenir !
Deuxième album de ce quatuor de DJ's zicos, déjà auteurs sous de multiples pseudos de mixes et remixes divers avant de se révéler au monde sous leur propre patronyme par le truchement de 2 maxis (avec un "l"manquant à leur nom).
Leur style ? Encore en gestation à l'époque, il fait la part belle aux musiques afro-américaines, va évoluer ensuite vers une électro-soul du plus bel effet (London Hooligan Soul (95) puis décliner franco toute la trame spirituelle d'une soul jazz extrêmement rythmée et syncopée sur l'opus qui nous occupe.
Comme toujours avec ces collectifs métissés jamaïcains ou du nord de l'Angleterre, les MassiveAttack, 4 Hero, la culture de ces exégètes que sont Ashley Beedle, Dave Hill, Rocky &Diesel, consiste plus prosaïquement en des influences new-wave couplées avec la musique de clubs telles le dub ou la techno.
Le disque s'ouvre par le bien nommé "Cubafro Con Amigos" et son rythme entraînant de samba, ponctuée d'une voix robotique, de marimbas et d'une flûte enchanteresse. Se poursuit avec le plus introverti "The Conversation" fredonné de façon lancinante sous une rythmique syncopée façon NewOrder. En deux titres, Rude System donne le ton de son déroulement, tantôt flamboyant, blindé de percus, véritable invite à la danse, et pour certains morceaux à la trance hyponotique ("Streets Are Real", "Rule Of The Bone" et leurs boucles démentes), tantôt plus intimiste, plus ouaté.
L'une des grandes réussites de ce disque, outre le monstrueux feeling hédoniste qui s'en dégage, tient donc à cette dualité dance/swing. Sur "Blacker(4 The Good Times"), qui revisite un ancien morceau des Brothers, c'est un riff de basse tonitruant - un sample de Herbie Hancock - qui donne le ton de ce titre, qui doit autant à la cold-wave de PiL qu'à l'acid-jazz de Corduroy. Enfin, preuve que ces gens ont du goût, l'album s'achève par une citation du grand Coltrane, à travers la reprise très libre, puisque bordée entre autres de sitars, du liturgique "A Love Supreme".
Les Ballistic Brothers n'ont plus guère donné signe de vie depuis ce chef d'oeuvre, si ce n'est une poignée de maxis, de projets ou d'interventions diverses, d'Ashley Beedle notamment. Un remix de Rude System avait même été envisagé , mais a finalement avorté. Nous reste ce témoignage essentiel.
En bref : le disque d'acid-jazz des 90's, rien de moins.
Il sort des distilleries écossaises, en dehors d’excellentes bouteilles de whiskey, une électronique de celle dont la présence n'est pas évidente de ce côté-ci de l’Atlantique. Effet de mondialisation ou pas, la maison Firecracker, basée a Edimbourg depuis 2003, s’est spécialisée dans une deep-house, habituellement assimilée à celle de Detroit. Le label, également collectif, se sera forgé une solide renommée en seulement trois enregistrements. Et attiré le soutien d’artistes comme Derrick May, Osunlade, Carl Craig, ou encore la troupe Jazzanova. Le premier ep, Miles Away, a été réalisé par le patron du label Lindsay Todd appuyé de Nick Moore (Linkwood Family), Gav Sutherland (Fudge Fingas), ainsi que le même Nick Moore en solo (Linkwood).
Comme de nombreux objets bénéficiant d’une certaine aura, l'enregistrement a sa petite histoire. Quelques petits ennuis et légers retards, en fait. Après avoir lutté pour réunir les fonds nécessaires pour l’enregistrement et la sortie de l’ep, Lindsay et Nick ont été refroidis par les charges demandées par les distributeurs. Ils ont décidé de se prendre en charge et d’aller voir à Londres des magasins de disques qui étaient susceptibles des les distribuer et se sont donc tournés vers les points de vente de l’underground londonien. Les vinyles peu édités, les magasins tombent rapidement en rupture de stock. Ce qui était le cas de Miles Away, qui vient d’être réédité.
Avec ses faux airs moodymann-esque, la Linkwood Family introduit la face A avec le morceau éponyme, hommage diabolique au beat-down de Detroit. Il est délicieusement policé par le cor de Colin Steele, et délicatement éclairé par les incantations soul de Joseph Malik. Vaporeux, enivrant, divin. Suit l’ami de famille, Fudge Fingas, qui apparait sur le Working Nights de Trus'me, signe la deuxième plage avec un "Gettin’ Together" à combustion lente, morceau soul-funk parfaitement étudié, façon vieille école, avec son motif de chant entêtant. Linkwood en solo, achève la face b avec "Fate", piqué d’accords de piano jazzy et cahoté par une voix aussi psychédélique que déviante, un vinyle définitivement millésimé.
En Bref : Avec son artwork héroïque, Miles Aways constitue un des plus beaux hommages fait à la house de Detroit dans les années 90. Immanquable.
Tant l'édition 2007 s'était surpassée, j'attendais avec impatience ce rendez-vous d'Angoulême désormais immanquable pour tout bon rockeur (indé?) qui se respecte. Bien que le lieu soit pour moi gravé à vie par l'emprunte indélébile du passage d' Arcade Fire, j'accepte d'accueillir les nouveaux. La crème de la crème de l'année en cours: The Kills, The Raconteurs, Brian Johnstown Massacre, autant de têtes plutôt rares sur le sol français alors autant en profiter. Toujours aussi propre, le site des Valettes semble de plus en plus proche (à la vue des Eurockéennes par exemple) de la taille et de la disposition idéale pour un festival. Deux scènes, une énorme et une moyenne, sous les arbres. C'est sur cette seconde que se termine l'après-midi pour ma bande avec le folk envoûtant de la jeune et frêle Alela Diane. Rien de tel pour faire passer la pilule du trajet et retrouver ses esprits. Passage tout aussi en douceur pour les anciens de Nada Surf qui malgré leurs bons efforts accusent un peu le poids de l'âge. Heavy Trash, le groupe de Jon Spencer part quant à lui dans tous les sens avec son blues ultra pressé, qui ne prend pas même le temps de finir les chansons. Il fait désormais nuit sur zone. Le festival s'allume et n'en ai que plus beau.
Grosse claque du festival, The Kills, ultra rares chez nous et à la une en ce moment avec leur dernier opus Midnight Bloom, en surprend plus d'un. Jamie Hince maltraite sa gratte comme personne tandis que sa compagne Alison Mosshart use de ses charmes pour nous pendre à ses lèvres. La boîte à rythmes faisant le reste (peut-être un peu trop?), et même si certains titres semblent ne jamais décoller (du moins mélodiquement), le concert est très bon et en scotche plus d'un. Pause sandwich bière, très sain, mais l'eau est introuvable sur site, même avec cette chaleur. J'attends le gros morceau de la soirée, du moins en ce qui me concerne, les Raconteurs et bien plus encore l'excitation de voir Sir Jack White en vrai. Bien plus que ça, il commence le show de dos pour finalement se retourner et scander son premier couplet d'une voix cradingue à donner des frissons. Les musicos derrière assurent et Brendan Benson est bien plus qu'un second, il ensorcelle de sa voix parfaite, radicalement éloignée de celle de Jack, distinction plus dure à voir sur cd. Deuxième plus gros concert sur site après Arcade Fire. Un peu plus tard Anton Newcombe et son équipe ont du mal prendre le relais, le best of de leur derniers albums sonne un peu aigri de ne finalement pas être devenu le meilleur groupe du monde grâce à un film. Enfin et pour clôturer la soirée sur une touche plus disco, Justice, que j'attendais au tournant depuis leur connerie de clip, impressionne par son installation et ses deux murs de (faux) Marschall, croix au milieu, bien illuminée. Le son dans ce cirque de nature est carrément dantesque, les basses ultra profondes et le lightshow certainement visible depuis la lune. Justice live en fait c'est bien. Mais pas trop longtemps non plus.
Un nouveau Beck, 2 ans à peine après The Information, et qu'on annonce psyché, allons bon ! L'homme s'est déjà frotté à tellement de styles, même s'il est exact que ceux qu'il incarne et qui l'incarnent le mieux sont sans conteste la folk et le hip-hop.
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Ca démarre par un curieux morceau ("Orphans"), sur un vibrato de guitare, qui se révèle effectivement plus pop qu'à l'accoutumée même si le morceau n'a rien de particulièrement accrocheur. S'ensuit l'enlevé et concis "Gamma Ray" qui renoue avec le son lo-fi des débuts ; ce morceau simple et frais, tranche sérieusement avec le côté cérébral du reste de l'album ; perso l'un des titres phares aux airs de futur classique. "Chemtrails" enfonce le clou avec son ambiance élégiaque très west-coast où la voix de tête de Beck sonne comme lointaine, perdue dans un mix ethéré avant la déflagration bienvenue des drums ! "Modern Guilt" poursuit dans un souffle et l'on se plait à écouter une voix très alanguie, loin des tentatives vaines de surproduction pompière d'un Midnite Vultures (99) ; le morceau scandé par une rythmique piano/guitare n'est pas désagréable, n'est pas transcendant non plus ! Tout comme "Youthless" qui lui succède.
Bref, une ambiance nonchalante de rêverie pêchue -oui c'est possible jusqu'à ce que patatras ! Beck se prenne les pieds dans la mode (qui n'en est plus vraiment une) du surjoué, du surmixé -c'est l'inévitable Danger Mouse qui produit le disque,) avec un morceau impavide et chiant au possible ("Walls") avec sa batterie saturée et démesurée qui vient interrompre l'assez bon ordonnancement des chansons. Mais le pire est à venir avec une chose nommée "Replica" où Beck se prend pour Squarepusher ou Aphex Twin, et où une mélodie famélique est submergée de percus et batteries programmées en cascade, donnant au titre un aspect encore plus pénible.
Plombé par ces deux ratages phénoménaux, Modern Guilt a du mal à redécoller, malgré le riff aguicheur -et légèrement putassier- de "Soul Of A Man". "Profanity Prayers" et surtout le très bon "Volcano" relèvent sensiblement le niveau, mais hélas trop tard pour laisser autre chose qu'une impression mitigée, bien loin des favorables impressions que les premiers titres de l'album avaient laissé naître.
En bref : un nouveau Beck qui tout en resserrant le propos -10 titres en un peu plus de 40 minutes- n'évite pas l'éparpillement, la faute incombant à l'utilisation de quelques gadgets creux, à des idées de production pas très heureuses (de faux côtés "crades" qui ne convainquent pas), et surtout à une inspiration légèrement en berne !
Manchester, 1974, un concert où sont présentes 42 personnes exactement. Dans le public, les futurs Buzzcocks et futurs New Order. Sur scène, les Sex Pistols. Tony Wilson, sous les traits de l’excellent Steeve Coogan, observe et commente. Il sera le fil conducteur de ce film hybride à cheval entre la fiction et le documentaire. Oui le personnage a bien existé et oui les anecdotes relatées ici sont vraies (le contrat signé au sang, devenu légende urbaine), mais Steeve Coogan, qu’on adore ou qu’on déteste se permet ici quelques détours purement imaginaires grâce au réalisateur anglais Michaël Winterbottom. Relativement peu salué par les critiques, 24 Hour joue la carte de la parodie genre Spinal Tap et vise même un cran plus haut, invoquant un humour anglais que l’on croyait disparu, typiquement Monty Python (la scène du bombardement de pigeons morts sur fond de Wagner, la scène de l’ovni, celle du clochard…).
Le fait est qu’il est assez jubilatoire de découvrir ou redécouvrir l’histoire, et surtout les détails, d’une époque charnière, où comme ultime symbole, le compagnon de Tony arrache des murs de sa chambre les posters des Pink Floyd dont la musique devenaient bien trop sophistiquées. Le réalisateur, par un habile jonglage entre noir et blanc et couleurs criardes filme en numérique et à l’épaule (sans être vomitif) des scènes jubilatoires chargées en références rockologiques et en images d’archive. Siouxie, Lou Reed, Iggy, les Jam, les Stranglers, les Stones Roses, les Fall, tous sont de la partie. On y voit Tony fonder le label Factory Records et consacrer ses économies (ainsi que celles des Happy Mondays) à l’Hacienda, salle de concert qui devient petit à petit l’une des toutes premières discothèques d’Angleterre. D’où une scène où Tony nous explique la naissance de la dance musique, où comment passer des Clash à OMD en quelques années. Mais plus que tout, et avec le recul de Control d’Anton Corbijn, c’est la partie Joy Divison qui impressionne le plus, avec un Sean Harris interprétant Ian Curtis au moins aussi bien que Sam Riley l’année dernière. Bien que l’on insiste un peu trop sur le côté néo fasciste du groupe, plusieurs scènes clefs (le suicide, la découverte du premier montage de "I lost control") sont fascinantes. Le temps passe à deux mille à l’heure, on rit, on apprend et ça donne envie de ressortir ses vieux disques. Que demande le peuple ?
Le troisième et dernier jour de ces Eurockéennes 2008 commence sous des trombes d'eau transformant le sol terreux en boue que l'on traînera jusqu'aux genoux toute la journée. Journée qui s'annonce longue si j'en crois ce que j'ai coché sur le programme papier. Orphelin de mon collègue de festoche Fab, j'attaque la journée par un premier concert événement, que j'aurais aimé partager avec lui. Les voilà les fameux MGMT. Pas si impressionnant que ça. De près, on dirait effectivement deux jeunes garçons paumés, dans leur monde. Pourtant le concert sera bien meilleur que ce que j'en ai lu de Strasbourg, les morceaux passent bien et ont de l'ampleur. J'aurais cependant préféré la scène de la Plage, bien plus adaptée à mon avis. Même plage où je croise plus tard les excellents Yeasayer qui assurent dans le quasi anonymat un concert très plaisant, où les connaisseurs reconnaissent les très bons "2080" ou "Sunrise", désormais certifiés 100% live. La Plage qui en aura vu puisque plus tard se succèderont les barbus de Band Of Horses et les français ultra imaginatifs de Ez3kiel.
De bien meilleures surprises que la veille, bien que l'ensemble ne reste que correct. A ce moment là il n'en est point fini des surprises puisque Pete Doherty est là et qu'il tient à peu près debout. En fait presque efficace, le show qu'il délivre avec ses Babyshambles tient carrément la barre avec les groupes du moment. Juste le temps de faire un détour détente par l'iconoclaste Dan Le Sac Vs Scroobius Pip que Gnarls Barkley crée lui aussi une autre surprise, en tronçonnant beat battants une bien belle forêt de morceaux cachés par l'arbre "Crazy". Merde mais ça groove! Ce que je ne savais pas c'est qu'au fond de la pochette se cachait l'ultime retournement de situation, celui intronisant un groupe définitivement classé has been par l'élite indépendante, The Offspring, qui s'est finalement engouffré dans un cercle vicieux infernal: les titres sont ultra efficaces (Americana passe comme dans du beurre), le public est on ne peut plus enthousiaste, et du coup, Dexter et sa bande en rajoutent et prennent un pied d'enfer. "Come out and play" en ouverture de grand scène une fin de dimanche après-midi, ça fait ressortir pas mal de souvenirs apparemment. Ne restera que Moby, auquel les organisateurs avaient ajouté le suffixe Live Remixed, signifiant bien la tournure qu'allait prendre la scène: tsim boum, tsim boum, tsim boum! Finalement on retiendra de ce cru 2008 quelques bonnes surprises, de nombreux spectacles corrects, et peu de déceptions. Aux programmateurs futurs d'essayer de consolider une identité propre à ce festival et de ne surtout plus vouloir gagner en taille. Vouloir battre des records c'est bien beau mais trop de festival tue le festival.
Pour son deuxième album solo en onze ans, Morgan Geist revient là où on ne l’attendait pas. Seuls deux maxis sortis ces dernières années laissaient entrevoir un virage du New Yorkais vers une disco-pop vocale et son intérêt croissant pour le songwriting. Auteur, avec Darshan Jesrani, d’un disque entièrement instrumental aux orchestrations riches voire baroques (le monumental Metro Area sorti en 2002), le producteur originaire du New Jersey emboîte le pas de son poulain Kelley Polar et de Hercules & Love Affair en invitant, sur la quasi-totalité des titres, le chanteur du duo canadien Junior Boys, Jeremy Greenspan, avec qui il avait déjà travaillé sur le maxi Most of all en 2006.
Double Night Time, disons le sans plus attendre, est un peu frustrant. Neuf titres seulement, dont quatre déjà parus en maxi, c’est un peu léger après une telle absence. Cette pingrerie mise à part, force est de constater que Geist n’a rien perdu de sa superbe. Dès “Detroit”, ouverture magistrale, on retrouve son goût pour les atmosphères éthérées et cette oscillation permanente entre joie disco et mélancolie new-wave. Annoncé comme un hommage à ses premières amours musicales, ce nouvel opus lorgne avec insistance sur la synth-pop du Yellow Magic Orchestra, de Talk Talk et même des Pet Shop Boys, tout en explorant des terrains plus ambient, comme sur "Skypink blue", plage de prog-rock synthétique digne d’Ash Ra Tempel. Si Greenspan convainc sur le très 80’s “City of smoke and flame”, qu’il a co-écrit, son timbre un peu effacé et sa diction maniérée peuvent indisposer et même pourrir le travail de Geist. A dire vrai, on aurait apprécié quelques plages instrumentales supplémentaires, telles cet éclatant "Lullaby" et sa trompette vibrante ou ce fabuleux track de techno déviante et nappée qu’est "Palace Kife". Mais un choix a été fait, qu’il plaise ou non, et ce choix est brillamment assumé.
En bref : Plus pop qu’à son habitude, Morgan Geist n’en reste pas moins l’un des maîtres du disco moderne. Epaulé par Jeremy Greenspan des Junior Boys, il livre un deuxième album étonnant qui s’éloigne de la puissance symphonique de Metro Area mais nous fait pénétrer plus avant dans l’intimité de ce créateur discret et un rien nerdy. De la belle ouvrage.
Trois titres pour vous faire une idée de cet album à paraître le 15 septembre prochain sur Environ. “Lullaby” et “Most of All”, qui datent de 2002 et 2006, et “Detroit”, un inédit complet :
De la même période, certains lui préfèrent le gentillet et country Coney Island Baby (76) ou le baroque mais inégal Street Hassle (78). D'autres auront toujours une tendresse pour cet album, dont l'enchevêtrement live avec son autre grand oeuvre Berlin (73), constitue à n'en pas douter tout le sel décadent et destroy du mythique Rock'n'Roll Animal (74).
Dans tous les cas, le Lou se situe dans sa période la plus délétère, sans doute celle qui a porté au plus haut son imagerie de junkie blond peroxydé, la peau sur les os, ses plans je roule des pelles à mon guitariste tout en balançant des cigarettes allumées au public. A l'époque, Lou Reed, junkie au dernier degré vit avec le travesti Rachel, que l'on peut apercevoir au verso de la pochette, et joue sa vie à chaque concert, se montrant d'une raideur cadavérique. Sally Can't Dance, donc, n'était le funk tordu qui donne son titre au disque, est un disque incompris des critiques, rejeté par son auteur lui-même (preuve en est), et qui à la manière de Berlin, a fait un four. Pourtant, sur les chansons qui le composent, on y trouve quelques réussites incontestables, certaines méritant le titre de parangons reediens, et plus généralement de la pop dans son ensemble.
Cela commence avec le délicat "Ride Sally Ride" et sa très belle intro au piano et son accompagnement au cor, l'instrumentation semblable à celle de Berlin qui le précède, paraît sensiblement moins datée ; même si, c'est vrai, les cuivres manquent de chaleur. A l'écoute de "Baby Face", bluesy et toute en retenue, on comprend la dette qu'un groupe comme Kat Onoma et tant d'autres, doivent au teigneux new-yorkais. "Ennui", aux choeurs majestueux, porte en elle, toute la tristesse morbide véhiculée par le sémantisme 17ème de ce mot. Enfin, "Billy" est une ballade qui clôt agréablement l'album, après la tension accumulée précédemment par le morceau-titre, sec et décharné, sans vie sous ses faux airs dansants.
Mais Sally Can't Dance ne serait finalement qu'une énième réussite de plus d'une année qui en vit tant et fit la part belle aux auteurs interprètes, Kevin Ayers, John Cale, et autresRobert Wyatt, s'il ne recelait l'incroyable "Kill Your Sons",plus grande chanson de Lou Reed et au-delà ; et qui relate l'invraisemblable aventure d'un jeune adolescent "soigné" de son homosexualité par ses parents au prix d'une thérapie faite d'électro-chocs. Sublime musique, incroyable texte, autobiographique qui plus est. S'il faut se méfier des disques reniés par leur auteur et snobés par la critique car ill peut s'agir soit d'étrons, soit d'écrins : devinez vers quelle catégorie le 4ème ouvrage solo de Lou Reed balance.
En bref : disque mal-aimé et rarement cité, Sally Can't Dance n'en demeure pas moins l'une des pièces essentielles de la disparate discographie de Lou Reed. Et contenant un morceau ("Kill your sons") incroyable, en forme de manifeste.
_ Ci-dessous, une performance live de "Kill Your Sons", époque Legendary Hearts accompagné du génial guitariste Robert Quine, qui fait son effet, bien que largement inférieure à l'originale, et dans une clé différente.
Depuis le virage opéré avec Osez Josphine (92) et qu'on pourrait même antidater à son chef-d'oeuvre Novice (89), Bashung fait dans l'adult-orientated music ; sa voix a changé : de gouailleuse et rocailleuse, elle est passée à une tessiture toute de suavité teintée d'affect, qui peut séduire les uns, irriter les autres, mais ne laisse jamais indifférent.
Les textes conjugués à un bulletin de santé précaire gardent en revanche cette noirceur que ne plombent plus systématiquement les avalanches de jeu de mots et d'allitérations absurdes de naguère. Rendons pour ce faire à Gérard Manset et surtout Gaëtan Roussel ce qui n'appartient plus à Boris Bergman ou Jean Fauque.
L'écriture gagne en maturité ce qu'elle perd en esprit iconoclaste, et à vrai dire, ceci n'est pas vraiment nouveau non plus, car elle rejoint en cela les merveilles poétiques de cet étonnant oxymore qu'était Fantaisies Militaires (98), dont Bleu Pétrole n'épouse certes plus les contours musicaux : ici c'est plus du côté du susdit Osez Joséphine que va se percher l'écrin sonore de Bashung, c'est-à-dire une folk languide, parfois ensoleillée que viennent assombrir les mots si simples mais véritablement justes du frontman de Louise Attaque, véritable révélation du disque.
Il en est ainsi sur le sublime "Je T'ai Manqué", qui peut sans problème concourir au brelan des plus belles chansons du répertoire de l'alsacien.
Sur "Résidents de la République", le chant de seigneur de Bashung et ces mots si douloureux ("Un jour je parlerai moins / jusqu'au jour où je ne parlerai plus") nous font saigner les coeurs tout du long de ces superbes cordes qui en mélopées ramènent aux couplets. En contre-partie, "Tant de Nuits" et "Hier à Sousse" (un retour aux absurdes sonorités évoquées plus haut) paraissent presque rassérénées, jusqu'à l'apparition de l'autre grand contributeur du disque, le mythique et singulier Gérard Mansetdont on imagine l'univers obsédant et dérangeant des plus proches de celui de Bashung.
C'est tout d'abord sur le long et funèbre "Comme Un Légo" que se déploie toute la poignante désabusion chère à Nino Ferrer, puis sur "Vénus" où plane l'ombre de Ferré, et où affleure l'esthétique de L'imprudence (2002), précédent album hermétique de son auteur. Rien en revanche de particulier sur les reprises en roue libre et un brin paresseuses de "Il Voyage En Solitaire", ainsi que celle de "Suzanne" où Graeme Allwright revisitait Cohen. Celles-ci clôturent un disque qu'on eût aimé plus captivant sur la durée à l'image de Joséphine, mais dont les meilleurs faits d'arme, relèguent encore très loin la concurrence pour ce qui est de l'interprétation d'un Bashung qui n'a sans doute jamais été plus émouvant que sur ce douzième album.
En bref : même usé et recyclant certaines recettes de l'un de ses albums les plus fédérateurs, l'interprétation à la fois sur le rasoir, et sereine de Bashung font de ce disque et de ses titres phares, l'une des réussites du premier semestre de 2008.