09 août 2008

Ólöf Arnalds - Við og við (2007)

Le contexte: nous avions été bouleversés, il y a déjà quelques années, par les disques de folk brut de Devendra Banhart, Vashti Bunyan, Ramona Córdova. En 2007, alors que nos têtes tournent devant les courses à l'excentricité musicale, un petit label islandais, 12 Tónar, propose un retour aux sources des choses en sortant à l'insu de tous le grand disque folk de notre siècle. Chanté en islandais, Við og við est débarassé de toute référence anglo-saxonne, enfin. L'objet est libre, intemporel, unique. Et l'islandais devient la plus belle langue du monde. La poésie de l'incompris.

"Englar og dárar" ouvre et donne le ton. Une guitare et une voix, aigües, émergent, feu dans l'obscurité, et se parent du silence qui les entoure. Le son est artisanal; l'enregistrement est sincère. On entend chaque articulation, chaque glissement de doigt. Le matériau est brut, seulement pâtiné. Le bois est rugueux, et la peau douce. L'artefact porte les traces de sculpture. On y sent la matière et la manière. Mais Ólöf Arnalds (qui a joué chez Múm) est de formation classique. Elle est si précise, même virtuose, dans sa composition, son jeu et son chant que ses chansons semblent déjà appartenir à un certain folklore islandais, à un art du conte ancestral. Au milieu des forêts en chantier, on retrouve ses racines, ses sens, en une arche modeste et austère. Où l'on trouve le confort dans l'austérité. Car le son est sec mais les mélodies sont lumineuses.

D'apparence traditionnel, Við og við fait la différence dans sa modernité. Et trouve sa modernité dans sa sobriété. Ólöf Arnalds a pris le parti, sans compromis, de s'accrocher à cette austérité, afin d'éviter la larme facile, la dramatisation. Afin de rester subtile et d'aller à l'essentiel, et toucher au plus profond des êtres. "Englar og dárar" ou "Við og við" sont ainsi complètement dépouillés, et simplement sublimes. Les autres titres sont discrètement orchestrés; ils sont pourtant plus radicaux encore. Le tronc (guitare et voix) s'y trouve accompagné d'un seul instrument supplémentaire, volontairement sous-mixé. Le violoncelle de "Í nýju húsi", l'accordéon de "Klara" ou le piano de "Vittu af mér" n'interviennent qu'en fin de chanson, sans même que l'on ne s'en rende compte à la première écoute. Mais les instruments nous ont parlé au plus profond. Et c'est à cet instant, en toute fin de chanson, qu'Ólöf Arnalds exécute son geste le plus radical: couper court à l'orchestration, réduire la chanson au silence juste avant qu'elle ne puisse gagner en intensité. Ce qui se passe à la fin de "Klara" tient de la magie : les dernières notes sont d'autant plus émouvantes qu'elles sont tues.

Les choses s'assombrissent avec "Moldin", et plus encore avec le grave "Náttsöngur", seul titre véritablement orchestré, ce qui le rend plus bouleversant encore. Mais puisque les élans doivent être contenus, la chanson s'arrête en plein crescendo. Et laisse l'auditeur béat, tétanisé, une larme sur la joue et l'oeil déjà sec. Les notes reprennent un peu de chaleur avec "Skaldborg", mais restent empreintes d'une certaine torpeur, de cette mélancolie que l'on devine derrière les traits fatigués des petits errants à bout de souffle. Le disque s'achève avec "Ævagömul Orkuþula", qui, pour couper court à toute dramatisation encore, s'éteint radicalement pour laisser, mieux que jamais, parler le silence.


En bref: Hors de l'espace et du temps, le plus beau disque folk jamais entendu semblerait-il, où l'on retrouve sa nature dans le confort de l'austérité.



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Son Myspace, et celui du label 12 Tónar.

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"Í Nýju Húsi" en showcase au Iceland Airwaves 07:






"Klara" où le traditionnel perd sa géographie:







1 Comment:

Aline Fontaine said...

Cette chronique a été écrite il y a un moment, mais je pense que les fans d'Olof sont toujours aussi nombreux. Donc je voulais vous dire que j'avais rencontré Olof Arnalds lors de sa venue à Paris le 28 mars. Vous pouvez voir la vidéo de l'interview et de son concert sur mon blog : http://blog.pressebook.fr/voixdesgeysers/. N'hésitez pas à laisser des commentaires.