À part un cheval noir, c'est qui les Besnard Lakes au juste ? Si la dernière page du livret n'avait pas pris la peine de rappeler les noms des six membres fondateurs de ce groupe montréalais, on aurait pu effectivement se poser la question, tant les invités sont nombreux sur les huit plages qui composent cet album : Sophie Trudeau des Silver Mount Zion, Seligman des Stars, Donoso des Dears viennent prêter main forte à un groupe organisé autour du couple Jace Lasek/Olga Goreas. The dark horse est donc un album studio par excellence, non tant par l'omniprésence d'un producteur démiurge que par ce défilé incessant des guests. Le studio est dès lors investi comme lieu d'expérimentation, occasion de moduler le combo originel et d'enrichir considérablement les arrangements.
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J'irais droit au but : the dark horse est un album d'une beauté magnétique, qui flirte,ici ou là, avec le sublime (je vous laisse le loisir de méditer le distinguo). Il y a d'abord cette richesse des arrangements. Tout y passe : vocaux féminins, masculins, variation des tessitures, choeurs puissants, guitares, shoegaze, cuivres, cordes frottées, pincées, basses charnues, glockenspiel, rhodes, flûtes, etc.
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Et ce tempo alangui, faussement apaisé ( puisqu'il ménage toujours un crescendo),qu'on retrouve sur la moitié des morceaux, et qui laisse aux instruments le temps d'exister, de concerter, de commenter le texte. Chaque instrument est à sa place, dans des compositions majestueuses, dans un parfait équilibre et une sobriété qui rappellent le dernier opus des Black Mountain (même label Jagjaguwar) :ni effusion, ni bavardage, mais plutôt un art délicat de la ponctuation, et même un art du silence (autre point commun avec les Black Mountain) tout à fait remarquable. Il y a aussi quelque chose d'obsessionnel dans cet album, où il n'est question que d'espion, d'agent secret, en temps de guerre, de mensonge, de tromperie, et de désillusion. «I believed in obsessions», conclut la dernière chanson, mais on l'avait compris bien avant.
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Le premier morceau évoque la figure paradoxale et tragique d'une espionne «with secrets written all over her body» Autant dire que les secrets ne sont pas gardés longtemps et que tout finit en Disaster, titre de la chanson. La voix de falsetto de Jace Lasek fait des merveilles : toujours juste, limpide, aérienne (allez Shearwater encore un effort...). Le morceau est construit comme un long crescendo où les instruments se réveillent doucement, s'ébrouent, concertent, pour raconter, au final, l'histoire d'une conscience désabusée qui constate, amère, le désastre.
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Le deuxième morceau (For agent 13) est rigoureusement écrit : deux claviers, à la texture opposée, s'entrelacent, puis deux voix. La basse d'Olga Goreas assure les breaks entre deux couplets, puissante, et contraste judicieusement avec la légèreté des voix. Une guitare shoegaze introduit le refrain chanté par un Jace survolté dans les aigus.
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On atteint des sommets d'émotion avec And you lied to me. Reverbérations de guitare, cymbales en cascade, un discret clavier au lointain, une basse trés rythmique, pour nous raconter l'histoire d'un agent double, trop double : «and you lied to me, you aren't even who you said you are». Écoutez les silences qui suivent ce refrain et la reprise brutale batterie-guitare. Ils disent la sidération de celui qui a été trompé, l'abîme qui sépare l'être aimé tel qu'il est et l'être aimé tel qu'on se le représentait. Sublime.
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Le quatrième morceau, Devastation, change de régime et sort l'artillerie lourde : trois basses, trois guitares, trois batteries, et un choeur de cinq chanteurs. Le trip studio continue, c'est puissant mais le kitsh heavy metal nous est épargné.
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Retour au tempo majoritaire de l'album avec le trés beau Because Tonight, et ses allures de quatuor classique, et Rides the rails.
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Les deux derniers titres ne sont pas forcément plus gais, mais cachent leur désespoir derrière des harmonies vocales à la Beach Boys.
_En bref : Un album magnifique, qui ne renie pas la pop mais se distingue par ses compositions majestueuses, complexes, ses respirations sublimes, ses thèmes obsessionnels.
À lire aussi : Black Mountain - In the future (2008)
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"Disaster", en live, avec un trés bon son, mais sans le violon de Sophie Trudeau:
3 Comments:
Une des excellentes découvertes de 2007, au même titre que Of Montreal !
1er album acheté dans la foulée et à découvrir, car très bien lui aussi, intitulé Volume One (2003)
Sinon, un contrat pèserait-il sur ma tête ? J'ai reçu dans ma boîte aux lettres ce jour une tête bicéphale, ça glace !!!
J'ai lu incidemment sur le net que ce premier album était trés bruitiste-chiant et désavoué par le groupe ; j'avais quand même du mal à le croire, et j'aurais de toutes façons essayé de le choper.
Quand à ce que tu as reçu dans ta boite, tu vas un peu vite en interprétation ; peut-être s'agit-il simplement d'un énième groupe bicéphale parfaitement inoffensif ; à mon avis tu n'as pas à craindre pour tes jours.
Je croyais te l'avoir conseillé à l'époque, alors je m'y remets : rien que pour le languide "You've Got To Want To Be a Star", le premier album des Besnard Lakes est à avoir absolument !
Après, l'on sait que ce disque n'a été enregistré qu'à quatre mains, celle du couple et qu'on est loin des vertiges de Dark Horse et Roaring Night.
IL n'empêxhe, il faut l'avoir !
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