Dans la série, albums à pochette-statuette, voici une nouvelle pierre. Encore que celle-ci n'a que très peu été du goût des censeurs américains, ces grands prudes fondamentalistes, qui, depuis les riantes années reaganiennes, font apposer sur les disques différents stickers : qu'ils s'intitulent Parental Advisory Explicit Lyrics ou May Contain Offence.
L'objet du délit ? Tout simplement Perry Farrell, le frontman des Jane's Addiction représenté nu comme un ver en compagnie de sa petite amie et de leur maîtresse au lit. Ce délicat hommage au triolisme n'eut ainsi pas l'heur de plaire aux sénateurs US, qui dans un bel élan et assistés de leurs femmes bigotes, firent en sorte d'interdire la pochette incriminée - comme des centaines d'autres ! Celle-ci eut ainsi droit à un deuxième habillage, curieusement plus dur à dénicher, d'une blancheur immaculée, avec pour seul texte, celui du 1er amendement de la Constitution américaine relatant... la liberté d'expression. Foin de ces considérations moralisatrices à la mords-moi-le-noeud, parlons à présent du disque, l'un des plus marquants, l'un des plus virulents du hard core américain du début des 90's. Et également l'un de ses plus intrigants musicalement.
Menés par un hurleur à la voix suraiguë et un bretteur magnifique, Jane's Addiction propose sans le savoir encore son chant du cygne, avec cet album, le 3ème et ultime, avant la reformation. Sur des bases rythmiques martelées façon heavy, la première moitié du disque conjugue avec bonheur et parfois avec une certaine complaisance, une brochette d'hymnes à la gloire de l'adolescent slacker, du genre abhorré de tous : le glando en skate, casquette et bermuda, qui écoute d'ailleurs d'abominables groupes rap hard core eux mêmes portant casquette et bermuda. Dont le représentant le plus emblématique reste sans doute le combo des affreux Red Hot Chilli Peppers, avec qui JA évoluera de façon quasi incestueuse, se partageant notamment le brillant guitariste Dave Navarro.Dès "Stop !", c'est la ruée dans les brancards : rythme échevelé, aucun répit, des décharges d'électricité laissant l'auditeur pantelant ! Jusqu'à "Ain't No Right" via un "No One 's Leaving" et sa basse démente, on en redemande ! Après, pour les deux morceaux restant de la face A, et notamment du très crétin "Been Caught Stealing" et ses très réalistes aboiements de chien, on demande grâce/ Un peu ce qu'on ressentirait à l'écoute d'une impro hurlée de Offspring.
Bien, qu'est-ce qui fait alors que l'album bascule ? Et d'un bruit certes jouissif mais éreintant, en arrive à tutoyer des sommets musicaux ? L'explication trouve simplement sa source en terme de changement de face, vous savez ce truc vaguement conceptuel qui faisait que pendant longtemps, les groupes résonnaient en terme de moitié/moitié dans la confection de leurs albums.
Ainsi, tout démarre ou plutôt, se met à décoller de manière vertigineuse par l'entremise d'une face B à couper le souffle, et où paradoxalement le tempo connaît moins de soubresauts. Conçue en fait comme une véritable suite, à la manière de certaines faces B à l'ancienne, la flip-side de Ritual... donne à écouter la bande-son d'un mausolée sous fond de rock prog mâtiné de métal saupoudré de folklore, on ne sait plus trop. Les ...Trail Of Dead s'en souviendront, qui dans leur semi-réussi Worlds Apart ( 2005) recréeront à l'occasion certaines voies musicales de ce disque.
Tout (re)commence donc avec "Three Days", ode à une amie overdosée. Telle une ballade se déclinant en plusieurs mouvements (Radiohead n'a vraiment rien inventé, qu'on se le dise !), le morceau évolue peu à peu dans un maelström sonore louchant vers le hard, vers le prog, la musique liturgique, sensation assez étrange d'un fourre-tout génial. Beaucoup plus étirée que n'importe quelle chanson de la face A, "Then She Did..." poursuit sur la même voie mortifère, en accentuant encore davantage la dualité apaisement/déflagrations pour s'achever en un inévitable chaos. "Of Course" poursuit l'hommage dans un curieux background musical faisant ressortir les origines juives de Farrell, par de très plaintifs violons tziganes d'une mélopée qui vous pénètrent et semble ne jamais s'achever.
Ces trois coups de boutoir sont parachevés par une magnifique ballade qui est comme une oasis dans le tourbillon sonore venant d'être édifié sur près d'une demi-heure, à travers la désormais classique "Classic Girl", impérial single du groupe, quasi hymne d'une génération, et méritant à elle-seule d'incarner les farouches chevauchées électriques du mythique Lolapalooza festival itinérant initié par Perry Farrell.
En bref : véritable uppercut le temps d'une dantesque face hardcore, Ritual De Lo Habitual bascule soudain dans une dimension autre, mi prog, mi rock des stades, qui lui confère le caractère épique de certains classiques des 70's.
Relire la chronique de Trail Of Dead
"Three Days" en écoute :
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