05 novembre 2008

Last Days - Gus Van Sant (2004)

Juste quelques mots pour vous donner envie de voir, si ce n'est déjà fait, ce film musical pas ordinaire. Van Sant est trés fort pour choisir les sujets les plus racoleurs, et les traiter de la manière la plus personnelle et la plus inattendue qui soit. De même qu'il choisit, dans Elephant, de ne consacrer que 10 minutes à la tuerie de Columbine, pour filmer les déplacements des lycéens avant la tuerie, Van Sant réussit l'exploit de faire un film sur les derniers jours de Kurt Cobain, en ignorant totalement la musique de Nirvana, et jusqu'au nom même de Cobain (affublé du nom de Blake ). Et pourtant, c'est un grand film musical, qui en dit beaucoup plus sur la musique de Nirvana que s'il avait mis en scène Come as you are ou le MTV unplugged.

Il y a deux sommets musicaux, et cinématographiques, dans ce film. Tout d'abord un trés long, et lent, travelling arrière, montrant Blake seul dans le studio d'enregistrement du groupe, passant d'un instrument à un autre, en essayant d'en tirer quelques notes. Grâce au JamMan, Blake (se) donne l'illusion de jouer avec son groupe. Un JamMan est une pédale d'effet qui permet d'enregistrer un instrument et de mettre en boucle ce qui a été enregistré. Blake joue ainsi sur la première guitare et le JamMan répète en boucle ce qui a été joué. Il peut jouer ensuite sur l'autre guitare puis sur la batterie, ce qui finit par composer un véritable morceau. Mais l'artifice technique n'apparait pas à l'écran ; on a donc l'impression d'un décrochage et en même temps d'un phasage entre les sons entendus et les gestes pour les produire . La musique entendue a comme le double statut de musique de film et de musique dans le film. Habité par une musique intérieure idéale, Blake essaie de toutes ses forces de ressuciter un monde qu'il a perdu. "J'ai perdu mon univers", lui arrive-t-il de marmoner. Cet univers, c'est cette scène américaine underground des années 80, scène incroyablement riche , dont Nirvana est issue, et dont il se réclame. C'est Dinosaur Jr, Black Flag, Husker Du, The Melvins, Wipers, The Minutemen, Sonic Youth, The Consorts, toute cette scène plus ou moins hardcore avec ses petits labels, ses fanzines, ses tournées en van, et rien n'est plus insupportable à Cobain que de passer, aux yeux des siens, pour une énième marchandise culturelle lancée par une major. On se plaît à croire que c'est précisèment sur ce morceau qu'est intervenu Thurston Moore, guitariste des Sonic Youth, et crédité dans le générique en tant que conseiller musical. Mais la force de ce plan-séquence est aussi dans le choix du travelling arrière. Certains des travellings de Van Sant ont parfaitement intégré le principe selon lequel le travelling est une affaire de morale. De même que, dans la dernière scène d'Elephant, la caméra recule, multipliant les surcadrages, comme pour clairement réaffirmer le refus de toute forme de voyeurisme, ici aussi l'oeil-caméra se retire devant le spectacle insoutenable d'une âme perdue.
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Mais il y a aussi cette scène, incroyable d'intensité, où Blake chante seul, pour lui-même, s'accompagnant à la guitare sèche. Il s'agit de la chanson Death to birth, du groupe Pagoda, auquel appartient lui même l'acteur, Michael Pitt. Recroquevillé sur lui-même, les cheveux dans les yeux, Cobain dit adieu à la vie et à la musique. "It's a long ... lonely journey ... from death to birth". C'est le tout dernier jour des last days.
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Pour en savoir plus :

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Le travelling arrière :
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8 Comments:

Dave said...

C'est drôle, mais j'ai toujours pensé que le cas Cobain n'était qu'un prétexte choisi par Van Sant pour mettre en place un nouveau dispositif filmique. On notera d'ailleurs que Last Days conclut une trilogie du cinéaste sur "Les derniers jours de...", inaugurée avec Gerry (grands espaces, cadres larges...) et poursuivie avec Elephant (caméra discrètement subjective, contexte urbain...). Un beau film en tout cas, considéré comme chiant par beaucoup, mais dont la lenteur n'est pas innocente.
A+

Ju said...

J'ai ce film depuis longtemps de côté mais je n'ai encore jamais pris la peine de le regarder, peut-être mon sceptiscisme à Van Sant (Gerry? de qui se fout-on?). En tous cas tu m'as convaincu, je le regarde au plus vite et je te dis.
A+
Ju

Dave said...

Alors là, Ju, je dois dire que je ne suis pas du tout d'accord. Pour moi Gerry est un très grand film, bien supérieur à Last Days, par exemple. Il renvoie à tout un ensemble d'oeuvres littéraires qui explorent le même thème, celui de "la misère de l'homme sans dieu" (selon les termes de Pascal), des philosophes grecs à Beckett. Certes, ça donne lieu à un film où rien ne se passe, où les personnages avancent sans but, à l'aveugle. Comme dans "En attendant Godot", ou autres. L'absence d'enjeu, puis la mort, simplement: la vie, quoi.
Enfin bref, pas d'accord.
A+

Ju said...

Oui bien sûr j'entends bien, on doit pouvoir trouver plein de significations à Gerry puisqu'il n'y en a pas, c'est interractif comme truc. N'empêche que tout le monde n'aborde pas ce film en ayant vu "En attendant Godot" ni lu tout Pascal et tout Beckett. Enfin bref comme plein de trucs, il y a des gens qui aiment et d'autres qui détestent, c'est la vie, et ça crée des discussions donc cool !!
Je regarderai quand même La&st Days dès que possible.
A+
Ju

Emeric Cloche said...

Plus qu'un film sur Kurt Cobain, même s'il colle aux derniers jours du gazier, "Last Day" nous cause de la difficulté de communiquer, un sentiment adolescent qui perdure parfois... La musique dans le film est effectivement extra ordinaire, plus tard je me suis procuré la BO, mais elle n'a pas la résonnance sans les images.

"Last Day" est le genre de film que l'on peut visionner de nombresuses fois sans s'emmerder.

Ju said...

Et bim la claque! Je n'ai finalement pas mis trop de temps pour me plonger dans ce Last days. De retour de James Bond, tout le monde dormait à la maison alors je me le suis enfilé au casque et dans le noir à 2h du mat. Et bien franchement j'ai été fasciné tout le long, une photo magnifique, des plans quand même moins longs que d'habitude chez Van Sant, des idées excellentes (la sortie du corps à la fin), ce manoir, tout confère au religieux en effet. Et puis bien sur les deux plans dont tu as parlé Jéjé. Sans aucun doute mon Van Sant préféré. Mais je me pose cependant la question de savoir si ce film aurait eu la même force si'il n'avait pas été sur Kurt mais sur un ado lambda... Enfin, si ma tante en avait...
En tout cas je ne regrette pas et suis à demi réconcilié avec Van Sant.
A+
Ju

Anonyme said...

...mon film de l'année là je crois bien, et l'année d'avant ce fut "Elephant". après j'ai moins aimé Paranoid park. Mais "last days" est typiquement le genre de film a voir en salle et presque exclusivement en salle.

M.Ceccaldi said...

slt Ju,
je suis ravi de t'avoir fait découvrir ce film, après toute la musique que tu m'as fait découvrir..
bises