20 janvier 2009

Charlotte Zwerin - Thelonious Monk: Straight, No Chaser (1988)

Je connaissais à peine Thelonious Monk avant de voir ce documentaire dans un petit cinéma parisien, en 2001. Tout juste avais-je écouté une compilation d’enregistrements en trio préparée par un ami bien intentionné, compilation qui m’avait immédiatement emballé. Mais c’est au sortir de la séance de Straight, No Chaser qu’a véritablement commencé mon culte pour le musicien. Depuis ce jour, Monk est pour moi une pure incarnation du génie musical, aux côtés des Jimi Hendrix, Miles Davis et autres John Coltrane. On a énormément glosé sur les rapports entre sa folie - Monk ayant souffert d’une maladie mentale non encore identifiée jusqu’à son décès en 1982 - et son génie, mais c’est sur pellicule encore plus que sur disque que l’on peut juger de l’ampleur de l’une et de l’autre. Et le film de Charlotte Zwerin reste le plus bel hommage au musicien réalisé à ce jour, tous supports confondus.

Les images parlent d’elles-mêmes. Coiffé de chapeaux souvent extravagants, tournant sur lui même jusqu’au vertige, un sourire d’une vague démence aux lèvres, l’artiste est semblable à un enfant capricieux et incapable de gérer autre chose que sa musique. Sa femme Nellie l’habille, le nourrit, et fait la queue à la banque tandis qu’il mange une crème glacée en fixant les gens d’un air hébété. Les musiciens qui l’entourent lors des sessions d’enregistrement font tout leur possible pour recueillir les partitions complètes et les indications du maître, sans obtenir autre chose qu’un “Joue la note que tu veux !”.

Emprisonné en lui-même, marmonnant d’inintelligibles considérations, Thelonious fait cependant preuve d’une lucidité incroyable dès qu’il s’asseoit devant un piano. Rien de cérémonial dans ses performances : il est sur scène comme ailleurs, totalement imprévisible, fumant sa clope et se mouchant tout en jouant “Round Midnight”, s’échappant en coulisses pour ne revenir qu’au moment précis où commence son solo, ou entamant une nouvelle danse de derviche tourneur devant un public blanc et bourgeois totalement médusé.


L’une des grandes forces de ce film, on l’aura compris, est la qualité des images d’archives et notamment des captations de concerts, proprement époustouflantes. C’est d’ailleurs sur la base d’archives filmées que s’est construit le projet de Charlotte Zwerin. En 1980, le réalisateur Bruce Ricker la contacte et lui parle de Michael et Christian Blackwood, qui ont suivi Monk lors de sa tournée européenne de 1967-1968 avec leur caméra. Diffusées lors d’une émission pour la télévision allemande, les images n’ont jamais été réutilisées depuis. Enthousiasmée, elle lutte pour obtenir des financements, auxquels elle accèdera finalement grâce au coup de pouce de Clint Eastwood, qui accepte de produire le film alors qu’il est en plein tournage de Bird, son excellent hommage à Charlie Parker.

Autour de la matière fournie par les frères Blackwood, Zwerin imagine un portrait sous la forme d’un récit chronologique complet, et entame un travail de recherche colossal. Non seulement elle exhume des documents souvent inédits et récolte les témoignages de ses proches et collaborateurs, mais elle ose aussi des dispositifs plus originaux, tel ce quatre mains en face-à-face de Barry Harris et Tommy Flanagan, deux héritiers musicaux de Thelonious, qui livrent une superbe réinterprétation de “Well You Needn’t”. Et si tout cela ne nous permet pas de percer le mystère de cet artiste unique et impénétrable, jamais nous ne nous en étions approchés à ce point.

En bref : Des images d’archives magnifiques servies par un montage impeccable : pour les fans comme pour les profanes, Straight, No Chaser est le documentaire à voir absolument sur l’authentique génie qu’était Thelonious Monk. Et, au passage, l’un des plus beaux films jamais dédiés au jazz.

A noter : Parmi les autres documentaires consacrés au pianiste, on peut signaler Thelonious Monk (Masters of Jazz, Collection Archives Inédites, 2002). Plus cheap, mais intéressant quand même. Pour en savoir plus sur sa vie, consultez les excellents Monk, de Laurent de Wilde (Gallimard), et Blue Monk, de Jacques Ponzio et François Postif (Actes Sud). Mais surtout, achetez ses disques !

Un extrait du film :

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