Ninja Tune n’est peut-être plus le très grand label que nous avons connu dans les années 1990, mais rien ne nous à oblige à oublier ce que nous lui devons en terme d’exploration sonique et d’explosion des frontières musicales : les collages de Coldcut, le turntablisme obsessionnel d’Amon Tobin et Kid Koala, le hip-hop cinématique de Herbaliser ou DJ Vadim... La liste pourrait s’allonger à l’envi. Parmi les formations les plus créatives de cette grande époque de l’équipe londonienne, Flanger est à la fois l’une des plus aventureuses, et des moins vendeuses - ce qui ne va pas forcément de pair, le très expérimental Supermodified de Tobin restant à ce jour la meilleure vente du label.
Pour comprendre les intentions du duo allemand, mieux vaut réviser ses classiques du jazz des années 60 et 70 : la nonchalance du vibraphone de Milt Jackson et de son Modern Jazz Quartet, les complexes parties de Rhodes de Joe Zawinul (Weather Report), les hybrides jazz/funk d’Herbie Hancock ou des Brecker Brothers... Pour l’essentiel, Flanger se réapproprie ces fusions jazz et en livre une version électro-acoustique très ambitieuse. Alors que leurs deux premiers albums étaient électroniques à 90%, Inner Space/Outer Space a été enregistré avec une troupe de musiciens venus de Cologne, Copenhague, mais aussi de Santiago de Chile, ce qui explique le parfum sud-américain de la majorité de ses huit plages. L’ajout de ce feeling live, ainsi que la présence de grooves plus insistants, font du troisième projet de Flanger le plus accessible de tous, même s’il ne s’agit pas précisément d’un disque facile à appréhender.
Entièrement instrumental, si l’on excepte quelques onomatopées vocodées, Inner Space/Outer Space est construit, comme l'indique son nom inspiré d’un roman de J.G. Ballard, sur un balancement perpétuel entre expansion et contraction, intériorisation et lâchage rythmique, souvent au sein d’un seul et même morceau. La jam session chaotique qui ouvre “The Man Who Fell From Earth” met en scène une chute dans l’éther cosmique, chute qui s’achève dans l’océan, comme le suggère le deuxième acte de ce morceau extrêmement riche, où les synthés figurent le chant des baleines dans un flux de cymbales nacrées. Le tout dure moins de quatre minutes et se clôt sur un assemblage sans queue ni tête de cliquetis et de gratte électrique. L’album est ainsi bourré de surprises, de revirements et d’assemblages bizarroïdes, comme sur “It Ain’t Rocket Science”, où le sax ténor de Thomas Hass se vautre sur un tapis de sons kraftwerkiens.
Mais au fait, à qui doit-on cet ovni ? Pas exactement à des nouveaux venus, on s’en doute. Flanger, c’est l’association de deux génies protéiformes du jazz et de la musique électronique. Le premier, Burnt Friedman, a fait ses classes dès 1978. C’est un pionnier des musiques actuelles en Allemagne, furetant du dub (avec ses Nu Dub Players) à la musique industrielle (Some More Crime, Drome) en passant par la techno minimale (NUF). Le second n’est autre que le picaresque Uwe Schmidt, alias Atom TM - alias Senor Coconut, Erik Satin, Lisa Carbon, et 50 autres pseudos. Vivant aujourd’hui au Chili, c’est un fan de rumba et de techno, de Prince et de Coltrane, qui adore provoquer les mélomanes en mariant, pas toujours avec très bon goût, easy-listening, électro et variété. Flanger reste donc un projet à part dans les carrières de Schmidt et Friedman, auquel ils se consacrent tous les 4 ou 5 ans. Un quatrième album étant sorti en 2005, on ne devrait pas tarder à les voir resurgir.
A noter : la version vinyle ne contient malheureusement pas “Hirnflug”, l’excellent track final.
En bref : une fusion complexe entre jazz-funk, musiques latines et IDM qui constitue l’un des points d’orgue du catalogue Ninja Tune. Un disque sous-estimé, à redécouvrir.
Flanger - Outer Space / Inner Space.mp3
Flanger - The Man Who Fell From Earth.mp3
Les pages Myspace de Flanger et Atom TM
Le site de Burnt Friedman
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