Il faut avouer, je pensais que Taken By Trees ne serait le projet que d'un seul album. Parce que la discrète Victoria Bergsman est ainsi : elle enregistre un premier album parfait et puis s'en va, et revient alors que l'on ne l'attend plus. Open Field, album parfait de folk limpide, enregistré dans une sorte de torpeur mélancolique et rêveuse, était sorti en 2007. Mais nous connaissions déjà cette voix : c'était celle de The Concretes, son groupe pop qu'elle avait quitté après la sortie de leur premier album, parfait lui aussi. Le son d'Open Field, épuré, précis et chaleureux, nous a semblé être l'identité que Victoria Bergsman voulait donner à Taken By Trees. Or, agréable surprise, Rough Trade sort ce mois-ce la suite de ses aventures, et le style, même si toujours aussi vaporeux et apaisant, a été complètement revu. Et encore une fois, c'est très réussi. Agréable surprise toujours, c'est au Pakistan et entourée de musiciens soufis que Taken By Trees a écrit et enregistré cet East Of Eden tout à fait dépaysant.
Mais alors qu'elle semble aller dans une direction complètement opposée à celle prise sur Open Field, Victoria Bergsman montre au contraire, avec East of Eden, la grande rigueur artistique qui sous-tend son projet Taken By Trees. Si l'on écoute attentivement, on remarque que la composition générale des albums, qui s'apparentent alors à de petits tableaux d'une demi-heure, reste la même. On se souvient du magnifique instrumental (le morceau titre) qu'avait offert le producteur Björn Yttling sur Open Field. De la même manière sur East of Eden, Victoria Bergsman se met en retrait le temps d'un titre ("Wapas Karna"), et y laisse les musiciens soufis qui l'entourent s'exprimer. Les disques de Taken By Trees semblent donc se singulariser dans leur manière de créer des espaces, champs ouverts situés à l'est d'Eden (l'album a par ailleurs été enregistré en grande partie en extérieur). Ce sont ces espaces laissés aux silences, aux musiciens qui participent à la création, et aussi les espaces laissés aux mots des autres : le single "Lost and Found," bluette extraite de Open Field avait été écrit par Tracyanne Campbell de Camera Obscura. Sur East of Eden, le tout frais "My Girls" d'Animal Collective a le droit à une merveilleuse adaptation, sous le titre "My Boys." Il s'agit d'ailleurs d'un échange, bel échange, puisque Noah Lennox du groupe sus-cité prête sa voix de Panda Bear au beau "Anna" et rappelle ainsi que l'on est jamais loin de son Person Pitch.
Le projet Taken By Trees se précise donc. Il ne s'agit pas du tout, comme on pourrait le penser, d'une folkeuse suédoise qui prendrait soudainement un virage world. La suite devrait le prouver, Taken By Trees fait des albums comme une artiste une série de tableaux : dans un cadre et une structure identique, elle y développe les mêmes motifs, soit ceux de l'espace d'ouverture et du rapport aux racines. Ce que Victoria Bergsman a fait entre ses deux albums, c'est simplement changer de ton, de couleur, et d'axe de tradition folk. Après avoir travaillé sur l'axe anglo-suédois (le son de Open Field se situait entre Vashti Bunyan et les productions pop suédoises contemporaines), c'est l'axe suédo-pakistanais qui conduit Taken By Trees à East Of Eden.
En effet, tout qawwalî qu'il puisse sonner, East of Eden n'est pas exempt de suédicité : il y a ces beaux titres chantés en suédois dans le texte (alors que le reste est chanté en anglais) : "Tidens Gång," "Bekännelse." Il y a aussi ces choeurs, beau cliché suédois, que l'on retrouve sur "Anna" ou "Greyest Love Of All." Alors oui, East of Eden est un disque très surprenant, mais lorsque l'on connaît l'importance du voyage et de l'exotisme dans la peinture, la littérature et la musique suédoise, il se révèle très culturellement enraciné, ce qui participe pleinement au plaisir d'écoute. En effet l'amateur de folk occidental (que je suis), jusque là peu initié aux musiques du monde et d'Asie notamment, ne prend pas le risque de se perdre dans ces jardins lointains, de ne pas en comprendre le sens, et donc d'en rejeter la beauté. East of Eden est une invitation rassurante, une porte européenne ouverte sur les grands espaces de la musique pakistanaise, où le fil d'Ariane se rebaptise fil de Victoria.
En bref : Un beau tableau d'impressions de voyage, entre tradition soufie et contemporanéïté suédoise.
Ici : le site et le myspace.
Et le mini-documentaire de National Geographic sur la réalisation de l'album:
Mais alors qu'elle semble aller dans une direction complètement opposée à celle prise sur Open Field, Victoria Bergsman montre au contraire, avec East of Eden, la grande rigueur artistique qui sous-tend son projet Taken By Trees. Si l'on écoute attentivement, on remarque que la composition générale des albums, qui s'apparentent alors à de petits tableaux d'une demi-heure, reste la même. On se souvient du magnifique instrumental (le morceau titre) qu'avait offert le producteur Björn Yttling sur Open Field. De la même manière sur East of Eden, Victoria Bergsman se met en retrait le temps d'un titre ("Wapas Karna"), et y laisse les musiciens soufis qui l'entourent s'exprimer. Les disques de Taken By Trees semblent donc se singulariser dans leur manière de créer des espaces, champs ouverts situés à l'est d'Eden (l'album a par ailleurs été enregistré en grande partie en extérieur). Ce sont ces espaces laissés aux silences, aux musiciens qui participent à la création, et aussi les espaces laissés aux mots des autres : le single "Lost and Found," bluette extraite de Open Field avait été écrit par Tracyanne Campbell de Camera Obscura. Sur East of Eden, le tout frais "My Girls" d'Animal Collective a le droit à une merveilleuse adaptation, sous le titre "My Boys." Il s'agit d'ailleurs d'un échange, bel échange, puisque Noah Lennox du groupe sus-cité prête sa voix de Panda Bear au beau "Anna" et rappelle ainsi que l'on est jamais loin de son Person Pitch.
Le projet Taken By Trees se précise donc. Il ne s'agit pas du tout, comme on pourrait le penser, d'une folkeuse suédoise qui prendrait soudainement un virage world. La suite devrait le prouver, Taken By Trees fait des albums comme une artiste une série de tableaux : dans un cadre et une structure identique, elle y développe les mêmes motifs, soit ceux de l'espace d'ouverture et du rapport aux racines. Ce que Victoria Bergsman a fait entre ses deux albums, c'est simplement changer de ton, de couleur, et d'axe de tradition folk. Après avoir travaillé sur l'axe anglo-suédois (le son de Open Field se situait entre Vashti Bunyan et les productions pop suédoises contemporaines), c'est l'axe suédo-pakistanais qui conduit Taken By Trees à East Of Eden.
En effet, tout qawwalî qu'il puisse sonner, East of Eden n'est pas exempt de suédicité : il y a ces beaux titres chantés en suédois dans le texte (alors que le reste est chanté en anglais) : "Tidens Gång," "Bekännelse." Il y a aussi ces choeurs, beau cliché suédois, que l'on retrouve sur "Anna" ou "Greyest Love Of All." Alors oui, East of Eden est un disque très surprenant, mais lorsque l'on connaît l'importance du voyage et de l'exotisme dans la peinture, la littérature et la musique suédoise, il se révèle très culturellement enraciné, ce qui participe pleinement au plaisir d'écoute. En effet l'amateur de folk occidental (que je suis), jusque là peu initié aux musiques du monde et d'Asie notamment, ne prend pas le risque de se perdre dans ces jardins lointains, de ne pas en comprendre le sens, et donc d'en rejeter la beauté. East of Eden est une invitation rassurante, une porte européenne ouverte sur les grands espaces de la musique pakistanaise, où le fil d'Ariane se rebaptise fil de Victoria.
En bref : Un beau tableau d'impressions de voyage, entre tradition soufie et contemporanéïté suédoise.
Ici : le site et le myspace.
Et le mini-documentaire de National Geographic sur la réalisation de l'album:
4 Comments:
taken by trees... tu traduirais comment ?
tout ça m'a l'air effectivement un peux libidineux...
en tout cas, suède+pakistan voilà un chaud froid tout à fait attirant.
HAHA c'est drôle, car cet album me fait aussi penser à un trip initiatique hippie, comme dans La Vallée de Barbet Schroeder, où l'on peut assister à... l'éjaculation d'un arbre!
Mais non, tout comme chez Smog, il ne sera JAMAIS question de sexe chez Victoria Bergsman.
ah zut, c'est dommage, elle a l'air pas mal...
l'éjaculation d'un arbre, ça doit être sympa
autre référence dans un autre genre : evil dead, où une fille se fait précisément prendre par un arbre.
Jérôme le geek
Ah oui, dans Evil Dead, tout à fait! C'est tout de suite moins "poétique."
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