Même si Night Music n’avait pas été mixé et arrangé par Carl Craig, il resterait le disque événement de la rentrée électronique, ne serait-ce que par ses ambitions et son format : cinq titres conçus comme autant d’étapes d’un trip spatial inspiré par les sons rétrofuturistes de Manuel Göttsching autant que par le minimalisme d’un Steve Reich. Le tout façonné par un nerd accro aux synthés vintage, sous perfusion de Telex et de Liaisons Dangereuses. Répétitive, mécanique, la musique d’Etienne Jaumet s’apparente à un flux bourdonnant, insidieux, monochrome, comme une nuée d’insectes qui vous paralyserait afin de vous bouffer méthodiquement la cervelle. Rien à voir, cependant, avec les dérives paranoïaques de ses travaux au sein de Zombie Zombie. L’espace sonore est immense, se prêtant davantage au vertige qu’à la claustrophobie.
Night Music est un album éminemment personnel, qui creuse le sillon du premier maxi solo de Jaumet, Repeat again after me, sorti en 2007. A tel point que la dantesque For Falling Asleep et ses 20 minutes de techno cosmique sonnent comme une prolongation de ce maxi : on retrouve la même rigueur rythmique, les mêmes motifs analogiques, le même saxophone distant et esseulé. Le titre s’achève dans un magma ambient mêlant les chuchotements et la harpe d’Emmanuelle Parrenin. Il y aurait beaucoup à écrire sur ce premier morceau qui allie l’hypnose d’un raga indien, quelque chose du space-jazz de Sun Ra , et une carcasse techno propre à séduire les pires tenants de l’orthodoxie Made In Detroit. De toute évidence, Jaumet ne peut être soupçonné de vendre son cul au grand capital – difficile de proposer œuvre plus froide et mathématique que celle-là.
J’ai d’ailleurs été surpris de lire quelques chroniques enthousiastes sur des blogs habituellement peu versés dans la musique électronique. Les travaux du parisien au sein de Married Monk et de Zombie Zombie y sont sans doute pour quelque chose, ainsi que sa réputation de multi-instrumentiste chevronné, lui conférant un rayonnement bien au-delà des cercles technoïdes. Quant à la participation de Carl Craig au projet, elle est comme une cerise sur ce gâteau métallique, et accessoirement un passeport idéal pour l’international. S’il est compliqué de savoir ce que l’Américain a précisément apporté à la matière brute de l’album, qui lui a été envoyée par le clairvoyant Gilb’r (le boss de Versatile), sa patte est aisément reconnaissable à divers moments de l’épopée. La production et le mixage font d’ailleurs diablement penser à son premier opus, le mythique Landcruising (1995).
Surtout, on comprend ce qui a pu décider la star de Detroit à travailler sur Night Music. Lui qui n’a jamais caché son attrait pour le krautrock et les précurseurs électroniques européens en général a du se sentir immédiatement chez lui à l’écoute du beat motorisé et des basses souterraines d’"Entropy", ou de la montée clinique de "Mental Vortex". Dans un soudain accès de chauvinisme, on peut se féliciter que des artistes français produisent encore des albums aussi exigeants, homogènes et originaux que cette première offrande suintante de sincérité et d’érudition. Et si les sons se propageaient dans l’espace, je ne serais pas surpris d’entendre le "Cocorico" vocodé de quelque coq cybernétique retentir au passage de la comète Jaumet.
En bref : Erudit, jusqu’au-boutiste et illuminé, Etienne Jaumet catapulte un premier album solo intransigeant où il laisse libre cours à ses obsessions rétrofuturistes. Monumental.
Le Myspace d'Etienne Jaumet
Celui de Carl Craig
Le site de Versatile
A lire aussi : Etienne Jaumet - Repeat Again After Me (2007) et Klaus Schulze - Moondawn (1976)
Night Music est un album éminemment personnel, qui creuse le sillon du premier maxi solo de Jaumet, Repeat again after me, sorti en 2007. A tel point que la dantesque For Falling Asleep et ses 20 minutes de techno cosmique sonnent comme une prolongation de ce maxi : on retrouve la même rigueur rythmique, les mêmes motifs analogiques, le même saxophone distant et esseulé. Le titre s’achève dans un magma ambient mêlant les chuchotements et la harpe d’Emmanuelle Parrenin. Il y aurait beaucoup à écrire sur ce premier morceau qui allie l’hypnose d’un raga indien, quelque chose du space-jazz de Sun Ra , et une carcasse techno propre à séduire les pires tenants de l’orthodoxie Made In Detroit. De toute évidence, Jaumet ne peut être soupçonné de vendre son cul au grand capital – difficile de proposer œuvre plus froide et mathématique que celle-là.
J’ai d’ailleurs été surpris de lire quelques chroniques enthousiastes sur des blogs habituellement peu versés dans la musique électronique. Les travaux du parisien au sein de Married Monk et de Zombie Zombie y sont sans doute pour quelque chose, ainsi que sa réputation de multi-instrumentiste chevronné, lui conférant un rayonnement bien au-delà des cercles technoïdes. Quant à la participation de Carl Craig au projet, elle est comme une cerise sur ce gâteau métallique, et accessoirement un passeport idéal pour l’international. S’il est compliqué de savoir ce que l’Américain a précisément apporté à la matière brute de l’album, qui lui a été envoyée par le clairvoyant Gilb’r (le boss de Versatile), sa patte est aisément reconnaissable à divers moments de l’épopée. La production et le mixage font d’ailleurs diablement penser à son premier opus, le mythique Landcruising (1995).
Surtout, on comprend ce qui a pu décider la star de Detroit à travailler sur Night Music. Lui qui n’a jamais caché son attrait pour le krautrock et les précurseurs électroniques européens en général a du se sentir immédiatement chez lui à l’écoute du beat motorisé et des basses souterraines d’"Entropy", ou de la montée clinique de "Mental Vortex". Dans un soudain accès de chauvinisme, on peut se féliciter que des artistes français produisent encore des albums aussi exigeants, homogènes et originaux que cette première offrande suintante de sincérité et d’érudition. Et si les sons se propageaient dans l’espace, je ne serais pas surpris d’entendre le "Cocorico" vocodé de quelque coq cybernétique retentir au passage de la comète Jaumet.
En bref : Erudit, jusqu’au-boutiste et illuminé, Etienne Jaumet catapulte un premier album solo intransigeant où il laisse libre cours à ses obsessions rétrofuturistes. Monumental.
Le Myspace d'Etienne Jaumet
Celui de Carl Craig
Le site de Versatile
A lire aussi : Etienne Jaumet - Repeat Again After Me (2007) et Klaus Schulze - Moondawn (1976)
4 Comments:
tout ça a l'air bien captivant
j'aime bcp zombie zombie
mais la face B de dog walker m'a carrément ennuyé
donc je ne demande qu'à écouter...
bises
J
Welcome back Dave, avec une bien belle chronique qui plus est. J'écouterai ce disque et te dirai ce que j'en pense.
A+ mec
Ju
Cet album est grand... voire Immense ! bref, une grosse claque en matière de techno en 2009.
Un des albums les plus captivants de ces dernières années. Un grand Monsieur avec une grande culture musicale a pondu un grand disque. Merci M. Jaumet.
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