10 mars 2010

Sparklehorse - Dreamt For Light Years In The Belly Of A Mountain (2006)

Trois jours que j’écoute en boucle la discographie de Mark Linkous. Trois jours que je redécouvre son univers si fragile, ses ritournelles uniques, de celles que l’on n’écoute pas si souvent finalement. Un génie inadapté de plus, dont le bref passage sur Terre a apporté à ceux qui ont su l’entendre de bien belles rêveries ouatées, jusqu’à ce terrible jour de Mars où la flamme qui vacillait depuis longtemps s’est définitivement éteinte. Et bizarrement, un peu comme avec Modest Mouse, c’est presque l’album le plus désavoué que je préfère. Après un crucial, indépassable et surtout imprononçable Vivadixiesubmarinetransmissionplot en 1995, beaucoup n’ont vu qu’une continuité de talent baissant dans la discographie de l’homme à tête de cheval. Qu’on se le dise, Good Morning Spider (1998) et It’s A Wonderful Lie (2000) sont également d’excellents disques. Bien au dessus de la moyenne en tous cas. Je ne parle pas du récent Dark Night Of The Soul qui bien qu’impeccable n’est pas forcément représentatif de la pate Sparklehorse. Bien trop d’invités. Mais au bout du compte, si je ne devais en garder qu’un, ce serait celui-ci. Ca ne s’explique pas, mais je vais quand même essayer.

Pour la deuxième fois, l’ami Dave Fridmann est de la partie, tant à la production qu’aux petits instruments. A ses côtés, Danger Mouse qui a été selon les mots de Linkous son sauveur, celui qui l’a sorti du trou et qui a fait que ce disque ait pu voir la lumière du jour. A fortiori et pour une fois, leur présence à eux deux est assez discrète. Alors pourquoi ce disque est-il resté si longtemps dans la catégorie des projets en attente? Linkous on le sait avait du mal à évoluer parmi nous. Cinq ans de silence, rythmés par de grosses dépressions, des séjours en HP, de la réclusion en chambre, de nombreux décès dans son entourage (son premier amour, sa grand-mère…) et surtout la rémission d’une première tentative de suicide manquée qui l’avait laissé quelques temps en fauteuil. Qu’on ne se méprenne pas, je ne veux point faire de pathos ici, simplement souligner le contexte dans lequel ce bijou a vu le jour, dans un réel mouvement de catharsis. Le dernier album solo sous son nom.


Sparklehorse pour ceux qui ne connaissent pas encore c’était (douloureux imparfait) un songwritting ultra délicat, une esthétique folk lo-fi chère à son mentor de toujours Daniel Johnston, des arpèges splendides, des guitares généralement discrètes et une batterie sèche comme un coup de trique. Un univers que l’on qualifierait de brouillon et fragile au premier abord mais qui finit par tutoyer les sommets du sacré par l’interprétation sur le fil du rasoir de Linkous. Une voix souvent filtrée, chancelante, fragile, qui verse irrémédiablement et la plupart du temps dans la poésie la plus pure. Du bout des lèvres il murmure des pop songs couleur sépia, qui par moment et quand le ton se fait plus folk, évoque un autre grand disparu à sensibilité exacerbée, Vic Chesnutt. En effectif réduit (Steven Drozd des Flaming Lips, Scott Minor son batteur fétiche, et Tom Waits en guest), Linkous enregistre live d’anciennes compositions (époque It’s A Wonderful Lie) jugées trop poppy à l’époque. L’ancien est donc réhabilité avec au compteur seulement huit véritables nouveaux titres. Peu importe, cet album est bel et bien un album.

Malgré les craintes, tous les titres ne sont pas si tristes que ça. "Don’t take my sunshine away" qui ouvre le disque est même assez enjoué. Dans un pur style Flaming Lips (une des accointances, avec Mercury Rev, Eels et Grandaddy) la mélodie est planante et envoûtante à souhait. Un classique pour moi. Je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde. D’autres titres sont assez cools, comme "Getting it wrong" ou "Knives of summertime", avec quelques voix féminines. Certains sont carrément pop ("Shade and honey") ou plus électriques ("Ghost in the sky"). Et bien-sûr je ne vais pas vous mentir, Il y a aussi de bonnes grosses chansons plombantes. "Return to me" par exemple avec ses arpèges blessés, mais aussi "Morning hollow" et son rythme tout en retenue. On retient son souffle je vous le dis. Enfin, last but not least, le titre d’au revoir : "Dreamt for light years in the belly of a mountain". Dix minutes de mellotron et de piano en apesanteur, des échos d’outre-tombe, des bips réguliers de pompe à morphine, en gros un long songe éveillé que rien ne peut venir perturber. Sans aucun doute le morceau qui illustre le mieux les mots de Linkous : "Sometimes my songs are just like images or films in my head. Or smells". Il n’y a plus qu’à fermer les yeux.

En bref : grand disque malade injustement boudé, Dreamt For Light Years In The Belly Of A Mountain est bourré jusqu’à la gueule de chansons magiques et magnifiques que rien ne saurait perturber. Au delà du réel.





Le site officiel, le Myspace et l’album complet en streaming

A lire aussi : Danger Mouse And Sparklehorse - Dark Night Of The Soul (2009)

Les supers cools "Don’t take my sunshine away" et "Shade and honey", et pour les courageux non dépressifs "Dreamt for light years in the belly of a mountain" :





5 Comments:

M.Ceccaldi said...

On vient d'annoncer le suicide de Mark Linkous. triste coincidence
J

Dave said...

Voyons HIPHOP, crois-tu vraiment qu'il s'agisse d'une coïncidence?

Marshall said...

Quelle tristesse qu'il se soit donné la mort.Il avit certainement ses raisons,on ne peut pas juger un tel geste.Mais je l'avais découvert sur l'excellent Dark Night Of The Soul et c'est assurément un grand artiste qui nous quitte :-(

Francky 01 said...

Hello Ju.

Excellente critique et analyse de "Dreamt For Light Years In The Belly Of A Mountain", disque injustement boudé à sa sortie (comme tu le dis si bien). Moi aussi je l'aime beaucoup.
Perso, j'ai découvert Mark Linkous et ses Sparklehorse avec "It's a wonderful life" qui reste MON chef d'oeuvre d'eux, un de mes dix disques préférés des années 00'.
A l'époque, pour parler de ce disque, j'avais écris sur mon blog :
"....Moins electronica que le précédent, "Dreamt for...." est un enchantement, une traversée dans le paysage mental d'un groupe ô combien torturé mais tellement passionnant !

A + +

a said...

Paix à Sparklehorse.