24 août 2010

The Daredevil Christopher Wright - In Deference Of A Broken Back (2010)

Quelle claque! C’est avec un peu de retard et grâce à Benjamin de l’excellent label Almost Musique que j’ai découvert ce qui me semble être (et je ne suis pas le seul) l’un des petits bijoux de l’an passé. Pour beaucoup ce nom à rallonge sans véritable signification est difficile à retenir, et pourtant il mérite qu’on se penche dessus et qu’on fasse l’effort de le retenir. Les frères Jon et Jason Sunde et leur comparse Jessie forment ce trio de barbus en provenance de Eau Claire, Wisconsin. C’est leur premier véritable projet musical à tous trois, et leur premier album après une paire d’Ep confidentiels. Ceux qui s’y connaissent en géographie indé auront tilté, c’est de là que vient aussi Bon Iver, accessoirement parrain et mixeur de ce disque insolite et surprenant.

Pourquoi surprenant ? Parce qu’à première vue tout porte à croire que l’on à faire à un concentré de noirceur. Le titre de l’album d’abord qui fait référence à un douloureux problème médical, puis les titres des chansons qui sont sans équivoque : de l’introductif et lyrique "Hospital" en passant par l’harmonieux et suspendu "Acceptable loss", il est partout question de peines, de traumatismes et de souffrances. Des thèmes qui auraient pu être durs à porter, et qui auraient pu alourdir l’ambiance d’un disque déjà condamné à la tristesse, alors qu’il n’en est rien. Car le mot d’ordre ici, c’est dédramatiser, rire de ses problèmes et plus que tout positiver pour avancer.

L’exemple le plus fragrant est ce morceau : "A conversation about cancer" pour moi le chef d’œuvre du disque. Un morceau enthousiaste et insouciant malgré le sujet on ne peut plus grave. Une rythmique entraînante et trébuchante qui relance le morceau à chaque seconde à la manière du "Did I step on your trumpet ?" de Danielson qui semble être une inspiration majeure des Américains. Comme lui, le trio tient à mentionner sur le livret les innombrables participants à l’"orchestre". Comme lui ça part dans tous les sens (americana, punk, folk, pop…) tout en gardant une identité forte.


C’est aussi le cas sur "A near death experience at sea" qui est un énorme foutoir pop où les chœurs de "Surfin Usa" croisent les percussions de foire de Neutral Milk Hotel. In Deference Of A Broken Back a d’ailleurs été comparé à In The Aeroplane Over The Sea pour son rejet des codes et sa richesse des styles. S’il est un peu tôt pour le dire, la comparaison est en tous cas flatteuse. Les autres influences recensées n’en sont pas moins honteuses. Qui a dit Elliott Smith pour la ballade folk "War stories" ? Qui a dit Fleet Foxes pour la pop pastorale de "The East Coast" ? Un dernier pour la route ? Qui a dit Big Star pour l’électrique "Clouds" ? C’est vrai qu’on a vu pire…

En bref : tous les paradoxes sont dans ce In Deference Of A Broken Back de haute volée. Perturbant au premier abord par sa façon de se tenir en équilibre sur la corde à linge indé, mais à tout moment euphorique et joyeux malgré ses thèmes, c’est indéniablement un disque (et un groupe) à explorer encore et encore, ne serait-ce que pour son incommensurable tendresse.




A lire aussi : Neutral Milk Hotel - On Avery island (1996)

Pour info The Daredevil Christopher Wright sera bientôt en tournée européenne, notamment eu St Ex Bordeaux le 28 septembre prochain avec General Bye Bye en première partie. A ne surtout pas manquer !

Le Myspace et l’album en streaming

Une chouette vidéo de présentation du groupe et le clip/film de "Stewardess":




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20 août 2010

Best Coast - Crazy For You (2010)

Si l’on ne devait garder que deux disques typiquement estivaux cette année, King Of The Beach (Wavves) et Crazy For You seraient les deux lauréats. Hormis leurs pochettes quasi similaires –hideuses ou géniales selon l’humeur- les deux disques jouent dans un même registre, celui du plaisir immédiat. Ce disque n’a rien d’exceptionnel, vraiment rien, mais il sonne pourtant comme un nouveau classique d’indie pop, dans la lignée des Smiths, Shangri-Las et autres Dum Dum Girls.

Et puis une frontwoman ça n’est pas si courant. A 23 ans Bethany Cosentino a réussi l’exploit de composer 13 petits tubes sans prétention (et un bon paquet d’autres non présent sur ce disque), qui s’enchaînent comme autant de maillons en une toute petite demi heure. A compter du premier single en puissance "Boyfriend" jusqu’au petit sommet "When I’m with you" (morceau par lequel j’ai découvert ce groupe) tout est péchu (ou lazy selon les cas), léger et lo-fi. Bobb Bruno (multi instrumentaliste) et Ali Koehler (batterie, ancienne des Vivian Girls) se chargent de compléter le trio californien (Los Angeles).


Alors forcément avec des chansons si basiques, des paroles si gnangnan (à base de I love you, do you love me, I want to love you) et une uniformité de sonorités un brin fuzzy un brin surf, la redondance pointe le bout de son nez, mais globalement on n’a pas le temps de s’ennuyer. "I want to" est d’ailleurs de loin le meilleur morceau. La voix de Bethany est par ailleurs très souvent travaillée, souvent non verbale, et mise en écho avec elle-même. "Honey" me fait même penser à du Hole. J’aime bien ce morceau. Sans mériter le 8.4 adjugé par Pitchfork, Crazy For You est un très agréable disque de pop estivale, suffisamment garage pour nous intéresser.

En bref : de la surf pop simpliste mais agréable. Ne restera pas dans les annales mais peut vous faire passer 30 très bonnes minutes et plus si affinités.




A noter que Best Coast sera en concert à la Maroquinerie le 23 avril prochain

Le Myspace

A lire aussi : Cheap Time - s/t (2008)

Le clip de "When I’m with you" :



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15 août 2010

Arcade Fire - The Suburbs (2010)


"2009, 2010 Wanna make a record how I felt then / When I stood outside in the month of May". Voilà résumé l’esprit du nouvel Arcade Fire. Un événement, forcément. Depuis Funeral il y a déjà six ans, plus rien n’a été pareil, le visage du rock indé s’est teinté de ce nouveau son qui venait de Montréal. Il y a trois ans Neon Bible enfonçait le clou en gardant le cap. Depuis tout a bougé et on se demande si le couple Win Butler / Régine Chassagne et leur joyeuse bande de rejetons sont toujours dans le vent. S’ils se sont assoupis sur leurs lauriers ou s’ils sont tout simplement en passe de devenir le plus grand groupe du monde. Un verdict tranché est beaucoup trop dur à donner, et chaque instant de ce disque labyrinthe vaut d’être analysé.

"The suburbs" titre thème de ce nouveau disque introduit l’ambiance. Les banlieues, celles de Montréal, ont inspiré le groupe pour ce qui devait être la BO d’un film déjà mort / né. Win semble plus détendu et serein que lorsqu’on l’avait quitté sur "My body is a cage" par exemple. La production est effacée au possible et pour l’anecdote le disque a été gravé directement sur vinyle, puis regravé en cd à partir de la galette noire. Et puis il faut dire que la bande sait y faire pour faire monter la sauce. Huit pochettes différentes pour le marketing, mais aussi et surtout une série de concerts sauvages tous plus originaux les uns que les autres, de cette quasi improvisation sur parking (15.000 personnes réunies en seulement 24 heures) à ce show dantesque et en live mondial sur Youtube le 5 août dernier au Madison Square Garden (mis en image par Terry Gilliam). Sans trop en faire, Arcade Fire le fait bien et quoi qu’on en dise à la fin de l’écoute de ce disque, n’est toujours pas tombé dans le rock FM, et ça c’est bien.

"Ready to start" et on retrouve le vrai Arcade Fire, celui du early Funeral, avec un départ enchaîné énergique et une montée en puissance vers un final lyrique. C’est la signature du groupe canadien : le contraste entre rythmes énervés et binaires (bien souvent une simple note de piano martelée) et voix qui trainent. Ces morceaux donnent l’impression de garder un cap, et d’avancer tête baissée vers quelque chose. C’est ça que l’on aime, être emporté.


Suivent deux titres qui m’ont moins impressionné. "Modern man", une ballade assez lente et "Rococo" un peu trop rococo justement pour moi. Mais bon soyons clairs, un morceau moyen d’Arcade Fire reste un morceau solide et de qualité. Régine n’arrive que sur le cinquième titre "Empty room". Le morceau est très bon, avec rythme énervé de violons et chants mêlés. Habilement enchaîné, "City with no children" ressemble aussi à du Arcade Fire. Vient ensuite une série dont le groupe a le secret : "Half light I" et "Half light II". Régine mène la barque de la première partie, un magnifique slow à la Bodies Of Water, avec cordes et violons (le grand Owen Pallett est aux arrangements de cordes) mais aussi avec une pudeur qui impose le respect. La deuxième partie est laissée à Win qui reprend le pouvoir le temps d’un morceau qui file vers l’avant. La fameuse énergie positive toute en retenue, du genre "Soyons heureux mais soyons prudents". Le premier disque vient de se finir.

"Suburban war" est assez triste, façon Neon Bible. La guitare mène, le piano se mêle à l’affaire par moments. Et puis grosse montée avec à la clef une tension dramatique et un final dont ils ont le secret. Le live doit être monumental. A ce moment-là mon train est réservé pour aller voir ça à Rock en Seine à la fin du mois, c’est une évidence. Enfin "Month of May" déboule et fait tout péter. Rythmique ultra rock n’ roll, grosse pêche, jeux sur les voix, un sacré single ! Un morceau à se passer avant un entretien, ou simplement pour se lever le matin. Encore que le final fadé annonce déjà le semi retour de la mélancolie avec "Wasted hours", une ballade finalement assez convenue. C’est à ce moment que l’on découvre que le disque est long, très long (comme cette chronique d’ailleurs, désolé). Plus d’une heure de morceaux faussement simples, car même ce que j’appelle "ballade convenue" va recéler à un moment ou un autre un gimmick que l’on mettra du temps à déchiffrer. C’est le cas pour "Deep blue" qui n’invente rien mais qui reste chargé d’émotion. "We used to wait" revient aux fondamentaux de Funeral. Piano mono doigt et envolée lyrique. Single possible également.


Et à partir de là accrochez-vous, le disque touche à sa fin, mais le meilleur reste encore à venir : l’enchaînement des deux "Sprawl". Le premier, "Flatland", est le morceau triste de l’album. Win est tout seul sous le rai de lumière, les violons sont assassins et chaque mot qui sort de sa bouche est un torrent d’émotion. Et on se prête à penser que si un jour il vivait une rupture amoureuse (ce que bien-sûr on ne lui souhaite pas), il pourrait nous écrire les chansons les plus déchirantes jamais pensées. Et puis cette suite phénoménale qui sort de nulle-part et que personne n’attendait, qui n’a rien à voir mais pourtant complète si bien la première. Régine dévoile toute sa personnalité et nous pond un "Mountains beyond mountains" imbattable. On y trouve des claviers 80’s (et non kitsch) inédits chez Arcade Fire, un break exemplaire et une énergie phénoménale. La ressemblance quant à elle est frappante, ce n’est ni plus ni moins que le "Heart of glass" de Blondie. Pour moi l’un des tous meilleurs morceaux jamais écrits par le groupe, alors qu’il ne lui ressemble en rien. Et surtout une façon admirable de finir un disque, avant de laisser le thème The suburbs joué en classique puis en réverb caresser une dernière fois l’oreille de l’auditeur qui normalement à ce moment-là est déjà sur le cul. Il vient d’écouter le troisième album d’Arcade Fire.

En bref : le cru Arcade Fire troisième du nom est un disque long et varié, qui prendra du temps à être déchiffré complètement, et qui assoie définitivement le groupe sur le piédestal du rock indé. Avec ses deux immenses personnalités (Win et Régine), son groupe débraillé et ses chansons exemptes de toutes influences, les canadiens ont toutes les cartes en main pour marquer l’histoire.





Le site officiel

"Month of May", "Spraw IIl" et une chronique filmée assez pertinente :







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03 août 2010

Field Day Festival - 31 Juillet 2010, Londres

DodB pousuit sa tournée des festivals d'été par un détour au Royaume-Uni. Glastonbury ? Reading ? Isle of Wight ? Non : Field Day festival. À Victoria Park, en plein cœur des quartiers Est de Londres, soit un certain centre du monde... Ici, point de tête d’affiche gigantesque et de déplacement de foule épique. Ici, on joue petit et pointu. Field Day est donc la version urbaine du grand festival rural : condensé, cadensé, et moderne. Un jour, six scènes, une demi-heure par concert, DJ sets intercalés entre les concerts pour un enchaînement sans temps mort, le tout calé entre midi et 23h, afin de coller avec la fermeture des pubs. Le festival a tous les attributs de la kermesse de village. Il faut bien qu'il mérite son nom. Sauf qu'ici, porter chemises à carreaux, bottes en plastique, ou robes à fleurs tient du show-off, les stands de bouffe se doivent de proposer des spécialités ou pâtisseries bio et mignonnes, le vestiaire du festival est doté d'un grand miroir pour se relooker, le stand de troc s'appelle Fashion swapshop, et la fanfare du village (oui il y en a une - le Farnborough Concert Band of the Royal British Legion, qui jouera toute la journée) reprend Kylie Minogue.

Mais les cuivres de la fanfare sont très vite recouverts par les premiers sons de ce début d’après-midi, qui d'une scène a l'autre, ont un point commun en sept lettres évident : N.E.W.W.A.V.E. De Sunday Girl à The Golden Filter, en passant par Is Tropical devant lesquels je décide de m’arrêter parce que je préfèrerai toujours New Order à Visage, l’heure est hautement eighties. Ensuite, alors que Memory Tapes est encore en train de faire du mal à son merveilleux Seek Magic, en alourdissant ses chansons si aériennes, et, je commence à le croire, difficilement adaptables en live, le public se serre sous un chapiteau trop petit pour écouter les boucles lancinantes de Mount Kimbie. Sous la chaleur et l’obscurité de la toile noire de la tente, il s’agit moins de l’ascension d’une montagne que de la traversée du tunnel qui la perce. À deux autour de machines, d'une guitare et d'une batterie rudimentaire, les deux londoniens gardent un public toute ouïe et transi avec une musique pourtant pas facile d'approche.


Après m’être dégourdi les jambes devant le DJ set de Simian Mobile Disco, je file attendre le concert de Lightspeed Champion. Celui-ci a donné du muscle et du nerf à sa pop délicate et maniérée, qui manque toutefois toujours un peu de sel à mon goût. Extrêmement confiant dans ses vêtements improbables, Devonté Hynes assume la grande scène et assure le show au milieu de son backing band, ouvrant son concert en crooner le micro à la main, et l’achevant avec solos de guitare. Sur la même scène, et tant pis pour No Age qui joue en même temps, s’en suit le concert fort attendu de The Fall. Et à cette heure avancée de la journée - hum il est 17h30 - il n'y a pas eu de meilleur moment que celui qui a vu débarquer sur scène cette gueule de vieux chien méchant – pardon, Mark E. Smith. Bien qu'il adore les renvoyer à coups de pied, Smith sait s’entourer d’excellents musiciens. Ils sont parfaits. Au cours du set principalement dédié au récent Your Future Our Clutter, Smith vocifère et met un gentil bordel, avec l’aide de sa claviériste. Punk toujours ! On devait jouer 45 minutes, on va en jouer 40, par principe !

Puis, irrémédiablement attiré par ce que j’entends en provenance du chapiteau Lock Tavern, je dois laisser Gruff Rhys à son étrange nouveau projet, et aller faire la belle découverte du festival : Yuck. Le quatuor fait de la pop comme on la faisait dans l’Amérique indie des années 90 : grunge, noisy, à fleur de peau. Ce qui me touche autant, au milieu de tous ces groupes auto-proclamés d'avant-garde, c'est de revoir un groupe jouer au premier degré, sans distance ironique ni conceptuelle. J'espère que ce sera ça, le prochain revival, celui des années 90, et non celui de la dance de la même décennie. J'essaie de préserver le plaintif dernier morceau de Yuck en tête avant d'aller faire un tour sous le chapiteau Bugged Out!, où DJ Mehdi et Riton sont en train de mixer à quatre mains. Le mix est... dance, oui. Toute leur adolescence électronique y passe : Technotronic, Crystal Waters, Prodigy… Mais de manière assez magistrale il faut dire. C’est qu’ils ont l’intelligence de ne laisser aucun morceau s’échapper, et de préférer jouer sur les réminiscences. De tous mes interludes « DJ set », celui-ci est le meilleur.


C’est maintenant l’heure de plonger dans lAtlas Sound. Bradford Cox est seul sur scène, entouré de ses pédales d’effets, caché derrière sa guitare et son harmonica. De l’eau est passée sous les ponts depuis qu'on l'a vu accroupi à ses pédales en première partie d'Animal Collective. Les morceaux joués sont toujours d'aussi vertigineux enchevêtrements de boucles, mais cette fois-ci, de ces grandes étendues (5 morceaux en 40 minutes) émergent des chansons. Et elles sont superbes.

Ensuite tout s’accélère : quelques minutes devant Caribou, qui malgré la largeur de la scène (la plus grande du festival), joue en rang serré. Le son est parfait pour le festival. Mais le public ne semble pas des plus attentifs. Il est venu chanter les chansons de Phoenix qui cloront le festival. À la place, je vais prendre des leçons de modernité devant l’étrange concert de Silver Apples, puis terminer la soirée avec Moderat en live. Choix de programmation pas évident à assumer, quand on pense que Simian Mobile Disco ont mixé à 15h. Car même si le beat est très lourd, Moderat n'est pas l'option la plus dansante. Mais le public savait à quoi s’en tenir, les applaudissements sont donc plus émus qu’extatiques, et plus encore lorsqu'Apparat prend le micro ou la guitare. À 23h tout le monde en redemande, mais les allemands n’ont pas le choix : c’est extinction des feux. Un quart d'heure de bus et je suis au lit ; l’avant-garde aujourd’hui c’était être un peu papy.

(Photos: Tangentical)


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