DodB pousuit sa tournée des festivals d'été par un détour au Royaume-Uni. Glastonbury ? Reading ? Isle of Wight ? Non : Field Day festival. À Victoria Park, en plein cœur des quartiers Est de Londres, soit un certain centre du monde... Ici, point de tête d’affiche gigantesque et de déplacement de foule épique. Ici, on joue petit et pointu. Field Day est donc la version urbaine du grand festival rural : condensé, cadensé, et moderne. Un jour, six scènes, une demi-heure par concert, DJ sets intercalés entre les concerts pour un enchaînement sans temps mort, le tout calé entre midi et 23h, afin de coller avec la fermeture des pubs. Le festival a tous les attributs de la kermesse de village. Il faut bien qu'il mérite son nom. Sauf qu'ici, porter chemises à carreaux, bottes en plastique, ou robes à fleurs tient du show-off, les stands de bouffe se doivent de proposer des spécialités ou pâtisseries bio et mignonnes, le vestiaire du festival est doté d'un grand miroir pour se relooker, le stand de troc s'appelle Fashion swapshop, et la fanfare du village (oui il y en a une - le Farnborough Concert Band of the Royal British Legion, qui jouera toute la journée) reprend Kylie Minogue.
Mais les cuivres de la fanfare sont très vite recouverts par les premiers sons de ce début d’après-midi, qui d'une scène a l'autre, ont un point commun en sept lettres évident : N.E.W.W.A.V.E. De Sunday Girl à The Golden Filter, en passant par Is Tropical devant lesquels je décide de m’arrêter parce que je préfèrerai toujours New Order à Visage, l’heure est hautement eighties. Ensuite, alors que Memory Tapes est encore en train de faire du mal à son merveilleux Seek Magic, en alourdissant ses chansons si aériennes, et, je commence à le croire, difficilement adaptables en live, le public se serre sous un chapiteau trop petit pour écouter les boucles lancinantes de Mount Kimbie. Sous la chaleur et l’obscurité de la toile noire de la tente, il s’agit moins de l’ascension d’une montagne que de la traversée du tunnel qui la perce. À deux autour de machines, d'une guitare et d'une batterie rudimentaire, les deux londoniens gardent un public toute ouïe et transi avec une musique pourtant pas facile d'approche.
Après m’être dégourdi les jambes devant le DJ set de Simian Mobile Disco, je file attendre le concert de Lightspeed Champion. Celui-ci a donné du muscle et du nerf à sa pop délicate et maniérée, qui manque toutefois toujours un peu de sel à mon goût. Extrêmement confiant dans ses vêtements improbables, Devonté Hynes assume la grande scène et assure le show au milieu de son backing band, ouvrant son concert en crooner le micro à la main, et l’achevant avec solos de guitare. Sur la même scène, et tant pis pour No Age qui joue en même temps, s’en suit le concert fort attendu de The Fall. Et à cette heure avancée de la journée - hum il est 17h30 - il n'y a pas eu de meilleur moment que celui qui a vu débarquer sur scène cette gueule de vieux chien méchant – pardon, Mark E. Smith. Bien qu'il adore les renvoyer à coups de pied, Smith sait s’entourer d’excellents musiciens. Ils sont parfaits. Au cours du set principalement dédié au récent Your Future Our Clutter, Smith vocifère et met un gentil bordel, avec l’aide de sa claviériste. Punk toujours ! On devait jouer 45 minutes, on va en jouer 40, par principe !
Puis, irrémédiablement attiré par ce que j’entends en provenance du chapiteau Lock Tavern, je dois laisser Gruff Rhys à son étrange nouveau projet, et aller faire la belle découverte du festival : Yuck. Le quatuor fait de la pop comme on la faisait dans l’Amérique indie des années 90 : grunge, noisy, à fleur de peau. Ce qui me touche autant, au milieu de tous ces groupes auto-proclamés d'avant-garde, c'est de revoir un groupe jouer au premier degré, sans distance ironique ni conceptuelle. J'espère que ce sera ça, le prochain revival, celui des années 90, et non celui de la dance de la même décennie. J'essaie de préserver le plaintif dernier morceau de Yuck en tête avant d'aller faire un tour sous le chapiteau Bugged Out!, où DJ Mehdi et Riton sont en train de mixer à quatre mains. Le mix est... dance, oui. Toute leur adolescence électronique y passe : Technotronic, Crystal Waters, Prodigy… Mais de manière assez magistrale il faut dire. C’est qu’ils ont l’intelligence de ne laisser aucun morceau s’échapper, et de préférer jouer sur les réminiscences. De tous mes interludes « DJ set », celui-ci est le meilleur.
C’est maintenant l’heure de plonger dans lAtlas Sound. Bradford Cox est seul sur scène, entouré de ses pédales d’effets, caché derrière sa guitare et son harmonica. De l’eau est passée sous les ponts depuis qu'on l'a vu accroupi à ses pédales en première partie d'Animal Collective. Les morceaux joués sont toujours d'aussi vertigineux enchevêtrements de boucles, mais cette fois-ci, de ces grandes étendues (5 morceaux en 40 minutes) émergent des chansons. Et elles sont superbes.
Ensuite tout s’accélère : quelques minutes devant Caribou, qui malgré la largeur de la scène (la plus grande du festival), joue en rang serré. Le son est parfait pour le festival. Mais le public ne semble pas des plus attentifs. Il est venu chanter les chansons de Phoenix qui cloront le festival. À la place, je vais prendre des leçons de modernité devant l’étrange concert de Silver Apples, puis terminer la soirée avec Moderat en live. Choix de programmation pas évident à assumer, quand on pense que Simian Mobile Disco ont mixé à 15h. Car même si le beat est très lourd, Moderat n'est pas l'option la plus dansante. Mais le public savait à quoi s’en tenir, les applaudissements sont donc plus émus qu’extatiques, et plus encore lorsqu'Apparat prend le micro ou la guitare. À 23h tout le monde en redemande, mais les allemands n’ont pas le choix : c’est extinction des feux. Un quart d'heure de bus et je suis au lit ; l’avant-garde aujourd’hui c’était être un peu papy.
(Photos: Tangentical)
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