04 mai 2012

Bernard Estardy - La Formule du Baron (1969/2010)

Si vous aimez Michel Magne, François de Roubaix, Jean-Claude Vannier et toute cette clique de compositeurs et arrangeurs français qui donnèrent à la fois dans la musique de films et de télé, la pop expérimentale et la variété, alors vous aimerez immanquablement, si ce n’est déjà le cas, Bernard Estardy, autoproclamé Baron de Méhouilles. Organiste pour Nancy Sinatra et Nino Ferrer à ses débuts, Estardy a enregistré un nombre impressionnant de stars françaises dans son mythique studio CBE, qu’il avait créé avec Georges Chatelain et où il passait 14 à 16 heures par jour ! Johnny Hallyday, Françoise Hardy, Sheila, Joe Dassin, Claude François… Tous profitèrent de ses talents d’ingénieur du son, et tout spécialement de son don pour les prises de voix. C’est même sous sa direction que furent immortalisés le "Jerk" de Thierry Hazard, "Les Corons" de Pierre Bachelet, "Jolie Poupée" de Bernard Menez, le "Big Bisou" de Carlos et une quantité incalculable d’autres tubes de notre bonne vieille chanson de variété à textes bien de chez nous, jusqu’à son décès en 2006.


Parallèlement à cette carrière dans la variète, le Baron cachetonnait en composant des jingles, dont le fameux "Choisissez bien, choisissez But !", sur lequel il a touché des royalties toute sa vie durant. Il était surtout l’un des pensionnaires les plus actifs de Télé Music, grand label de library music parisien dirigé par Roger Tokarz. Avec des comparses comme le batteur Pierre-Alain Dahan, le contrebassiste Guy Pedersen ou le flûtiste Raymond Guiot, il bénéficiait d’une liberté de création énorme lors de ces sessions. En sont sortis quelques pièces aujourd’hui très recherchées par les collectionneurs, comme l’Electro Sounds de 1972 (1 seul exemplaire sur Discogs à 75$...). Mais son album le plus hallucinant reste La Formule du Baron, entièrement conçu pour le fun lors de ses pauses déjeuner au studio, en 1969, et réédité en 2010 par l’excellent label grenoblois Vadim Music.

Baroque, délirant, c’est un conglomérat de pop, de jazz funk, de jerk et de psychédélisme. Le tout agrémenté de scat ou de paroles parfois incohérentes ou codées ("Sister Charlotte Abbaye"). Le titre inaugural, "Monsieur Dutour", est arrangé par son dédicataire, Pierre Dutour, ami trompettiste et chef d’orchestre, avec qui Estardy s’embrouillera par la suite pour des questions de pognon. C’est une curieuse balade de pop orchestrale à trompette et à orgue, aux accents légèrement funky. Vient ensuite l’un des hauts faits d’armes du Baron, "Cha Tatch Ka", un morceau complètement fou, samplé par une foule de DJs et plus notablement par les Chemical Brothers (sur "Shake Break Bounce"). L’alliance des percussions noyées d’effets, de la guitare électrique, des chœurs et de toutes ces petites voix scatées en fait quelque chose d’inclassable et d’étonnamment moderne.


On ne peut évidemment pas en dire autant de tous les titres, qui pour certains ont pris un petit coup de vieux, surtout lorsqu’ils sont chantés. Mais même sur ceux-ci, il y a toujours suffisamment de loufoquerie à se mettre sous la dent - le jam euphorique à la fin de "Le Pain, Le Vin", par exemple. Et dans tous les cas, les arrangements sont splendides - écoutez les cordes sur "De temps en temps". A noter que les paroles de ces deux derniers morceaux sont signées Etienne Roda-Gil. Chaque piste réserve des surprises et des mélanges inattendus, à l’image de "Bave à Roi", qui mêle marche militaire, ragtime et moog, ou de "La Valse du Vépar", avec son accordéon franchouillard… Et niveau production, l’album est clairement en avance sur son temps.

Le Baron multiplie les effets, et notamment le phasing ("Ala Mia Thra"), qu’il a été le tout premier à expérimenter en France, de manière totalement artisanale, en se servant de deux magnétophones. Cet aspect artisanal se retrouve tout au long de l'album. Estardy fait même chanter les choeurs de "La Gigouille" à sa secrétaire. On l'entend marmonner ici ou là, et on imagine bien l'ambiance lors de l'enregistrement, l'esprit certainement biaisé par la photo intérieure du livret qui montre Bernard aux manettes de son studio accompagné d'un quatuor de femmes nues... Tout le plaisir mis dans l'élaboration de cette Formule est perceptible à son écoute, et c'est ce qui en fait un disque à part, un classique de la dinguerie à la française.

En bref : conçu par l'un des grands artisans de l'ombre de la variète française, La Formule du Baron est un disque unique en son genre, avant-gardiste, groovy et sacrément barré. Le prototype de l'album culte.




Le site de Vadim Music






4 Comments:

Anonyme said...

passionnante chronique !
merci!
j

M.Ceccaldi said...

et surtout ne pas oublier "dis bonjour au Monsieur, dis bonjour à la dame", de Carlos, authentique diatribe contre la domination adulte et la mise sous tutelle des enfants !! probablement inspiré de Maman Carlos alias Françoise Dolto... avec sa guitare wahwah du feu de Dieu ...
:-)

Dave said...

Effectivement ! Mais la liste est bien trop longue puisqu'il a aussi enregistré et arrangé des chefs-d'oeuvre de Michel Sardou, Gérard Lenorman, Herbert Léonard, Bernard Tapie (!)... Ou encore le générique de "Marc et Sophie" !

Nickx said...

Cet album est une tuerie, même s'il faut songer, comme chez nombre de compositeurs instrumentaux de l'époque, à zapper les parties chantées telles "Le pain..." au risque de se retrouver avec un blanc, voire un grand moment de solitude dans sa setlist !

De la belle ouvrage,as usual Dave !