Pour son ouverture, le
festival Les Femmes s'en mêlent accueillaient dans le petit
auditorium de l'Institut Suédois de Paris Molly Nilsson, berlinoise
suédoise dont la discrétion reste inversement proportionnelle à la
créativité. Je voue un culte étrange et secret à la pop
synthétique lo-fi de Molly Nilsson. Et pourtant (…et pourtant ou... c'est pourquoi ? Entre les deux, l'auteur balance),
j'ai toujours eu peur de la voir sur scène. Peur de voir ses petites
pièces s'écrouler sur la
pauvreté du dispositif physique, peur de voir la magie disparaître
derrière l'apparat cheap
de ses concerts. Parce que Molly Nilsson a toujours tout fait toute
seule, et que la voir en concert, c'est voir une femme appuyer sur un
bouton play et chanter par-dessus des morceaux entièrement
pré-enregistrés, parfois même jusqu'aux parties vocales.
Mais très vite, ce qui
pouvait apparaître comme une supercherie révèle en réalité toute
la magie de la musique de Molly Nilsson, tant le dispositif
minimaliste participe au final à la théâtralité de la
performance. Et le contexte n'est pas étranger à la beauté de la
scène. Tout se passera devant de grands rideaux noirs. Et pourtant,
c'est sur le côté, par la petite porte fondue dans le décor, que
Molly Nilsson, toute vêtue de noir, fait sa timide entrée. Après
un court silence, elle se penche au-dessus d'une petite table,
elle-même recouverte d'une grande nappe noire, et appuie sur un
bouton qui lance les premières notes de la bien
nommée "A Song they won't be playing on the radio" (Follow the light, 2010).
C'est l'une de ses plus belles chansons, mais aussi celle qui
présente l'une des plus longues introductions instrumentales, un
beau moyen pour Molly Nilsson de poser dès le début les conditions
de la jouissance du spectacle proposé.
En effet, que faire
lorsqu'il n'y a pas de ligne de chant à interpréter, qu'il n'y a
qu'à laisser les synthétiseurs virtuels se donner la réplique ?
La chanteuse répond par l'attitude : à peine quelques pas de
danse esquissés, les yeux baissés. Mais du reste, rien. Et le
spectateur, d'emblée ému par le courage de la jeune chanteuse
solitaire, ne peut qu'accepter la particularité formelle de la
performance qui suit. Là où d'autres préfèrent faire semblant de
jouer quelques notes de clavier, Molly Nilsson choisit d'être
honnête dans sa démarche, et laisser la musique apparaître dans
toute son immatérialité.
Par la suite, Molly
Nilsson, entre deux interventions pince-sans-rire, interprétera
principalement des extraits de son quatrième et dernier album
History, sorti en décembre 2011, un disque où les amples
ambitions se heurtent aux moyens limités, où la vision cosmique des
grandes thématiques de l'Histoire récente se concentre à travers
le prisme déformant des lentilles fendillées d'instruments de
mesure cassés. Ces instruments, claviers mécaniques détraqués,
sont invisibles. Ils sont tous contenus dans la boîte magique de la
sombre diva. Ils donnent cependant l'illusion de jouer en coulisse,
quelque part derrière ces grands rideaux noirs. C'est avec ce
troublant jeu d’illusions que Molly Nilsson, dans ces moments
d'attente, où, seule et muette, elle danse timidement derrière son
micro, donne corps au pouvoir magique de sa musique, qui, en dépit
de son intangibilité évidente, parvient à toucher son auditeur de
manière puissante et profonde. L'illusion, le théâtre, la sombre
chanteuse et les projecteurs aux couleurs primaires : l'analogie
saute aux yeux. Nous voici plongés dans la célèbre scène du
Silencio de Mulholland Drive. Ici, cependant, les sièges resteront
immobiles. Mais nous n'en ressortirons pas moins secoués.
Crédit photo : Vinciane Verguethen pour Les Femmes s'en mêlent
1 Comment:
Pas d'enregistrement vidéo ?! La description donne sacrément envie. Bonne publication mais frustrante !
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