20 juin 2013

VA - Masse (2013)

Il est assez rare de se prendre une véritable claque musicale pour ne pas en parler. Surtout quand il s'agit d'une compilation. L'objet nous vient tout droit d'Allemagne, de Berlin plus précisément. Et c'est au label Ostgut Ton, le label du club phare de la capitale, le Berghain, que l'on doit cette petite prouesse. Masse impressionne d'abord par son poids et son architecture. Trois parties distinctes et indépendantes qui nous donnent un petit aperçu de quoi sont capables nos voisins d'outre-Rhin. On retrouve avec surprise un grand nom de l'électronique, Henrik Schwarz. Plus la peine de présenter le bonhomme. Ses albums, divers maxis et innombrables autres remixes ont déjà fait plusieurs fois le tour du monde et fait danser plusieurs milliers de personnes sur la planète. C'est ensuite au tour de Marcel Dettmann et du plus discret Frank Wiedemann - la moitié de Âme - qui composent ensemble pour l'occasion. Plus discrets, mais non moins importants, ces deux noms-là ne sont pas inconnu pour tout bon amateur de minimale et de techno allemande. Le dernier, DIN, collaboration de Phillip Sollemann et Marcel Fengler qui ont créé un nouvel alias pour la compilation. On n'ira pas reprocher à la maison Berghain de faire tourner ses effectifs. On la remerciera plutôt de nous livrer et de diffuser encore une électronique d'excellente facture.


Autant caler confortablement son séant sur une chauffeuse de choix. Masse garantit une écoute aussi captivante que déconcertante. Trois parties, trois mouvements. La structure classique gouverne l'ensemble de chacune de ces trois grandes compositions. La première, inaugurée par Schwarz est ainsi appelée "Balletsuite #1 - Masse" ; la deuxième, par Dettmann & Wiedemann, se nomme "Menuett"; et la troisième de DIN, baptisée "Evolve". S'il est un peu vain de trouver une signification particulière entre ces différents mouvements, le moins que l'on puisse dire, c'est que les auteurs avaient bien une logique en tête. C'est une oeuvre abstraite et conceptuelle, réfléchie, organisée construite et pesée… Un peu de tout à la fois. Cet album est comme un livre dont il est parfois difficile de trouver le tenant et l'aboutissant. Difficile encore de ne pas s'emballer quand on entend par exemple un Henrik Schwarz se renouveler avec autant de brio et de réussite. Si la visée de cet album n'est assurément pas commerciale de par sa forme complexe et volumineuse, ne regroupant qu'assez peu de "singles" - même si l'on trouve de très bonnes réussites individuelles - et ne se destinant que très peu au dancefloor dans sa forme actuelle, il faut saluer l'effort commun réalisé sur cette pièce.

Une pièce intelligente, donc. Exigeante surtout. Je dois convenir que Masse se destine avant tout à un auditoire averti. Sans pour autant verser dans l'élitisme musical, la compilation est suffisamment bien construite pour ne pas lâcher son auditeur dans une zone dont on ne connaîtrait pas la nature. Tout dépend encore du choix du ou des auteurs. Schwarz nomme ses morceaux d'une manière assez conventionnelle "Unknown Touch", "Affect Stucture", etc. Ce qui n'est pas le cas des ses acolytes qui reprennent soit des termes plus techniques empruntés à la musique classique - "Accelerando", "Martellato"… pour Dettmann et Wiedemann - voire à la biologie pour DIN - "Creation", "Division", "Generation". L'ensemble de ces éléments confèreraient à Masse une dimension presque Warpienne, dans l'esprit de cet Intelligent Dance Music développé par le label. L'intelligence de cette compilation se situe également dans la diversité des styles représentés qui pourrait réconcilier les amateurs de house et de techno. D'un style plus instrumental à celui plus analogique, la compilation brasse de manière assez large.


Baroque. L'ouverture de Balletsuit #1 - Masse de Schwarz avec "Unknown Touch" a de quoi surprendre. Le Dj et producteur semble avoir remisé ses moniteurs dans le grenier. Ce premier track est un pur délice. Un petit bijou instrumental où l'on trouve guitare, violons avec pizzicati, piano dans une ambiance douce et amère. La suite continue d'exploiter cette même veine. On retrouve cette forte dimension instrumentale mêlée à un fond électronique discret mais présent. Les mélodies sont moins marquées sur les titres suivants. Ce sont plus des expérimentations sur des temps relativement courts où Schwarz fait intervenir différents instruments comme les percussions, guitares électriques aux tons légèrement sombres et angoissés ("I Am Not Responsible For That"), ou de nappes agrémentées de légères notes de pianos (But Then I'm Different"). La légèreté de ce premier mouvement est tout de même à remarquer. Sur "When Things Are Difficult", la lourdeur de la rythmique électronique contraste avec les notes de pianos égrenées avec parcimonie, ce qui confère au morceau une tonalité trainante et légèrement plaintive. Et sur "Couple Are Strong", Schwarz fait place à un très bonne improvisation au piano sur un peu plus de 6 mn.

Le deuxième mouvement, celui de Dettmann et Wiedemann, est le plus difficile. Les trois titres de ce "Menuett" relèvent plus de la pure expérimentation sur des temps relativement longs. La construction des morceaux se fait également d'une manière très progressive. On est assez proche d'une ambiant spatiale, absconse et très peu mélodique. Le troisième track "Spiritoso" se démarque toutefois des deux premiers de par ses sonorités faites de tintements de ce qui semble être ceux du Hang. Quant au troisième et dernier mouvement de la compilation, celui de DIN, il commence par le "Prelude" au piano avant de s'engouffrer progressivement dans une techno sombre et organique qui pourrait reproduire les mouvements microscopiques et moléculaires inhérents au processus de création. Ce troisième mouvement est à prendre dans son ensemble, comme un tout. Les tracks sont relativement courts et utilisent des motifs instrumentaux répétitifs. Seul le dernier morceau "Conclusion" se démarque des autres. D'abord, parce qu'il s'étale sur 8mn. Ensuite parce que sa progression confère au morceau une touche nocturne et semble reproduire la sensation que procurent les grands espaces urbains.

En bref : Construit sur différents univers sonores, Masse est une véritable entité musicale. Etrange, souvent troublante, elle offre un large panel de sonorités et d'expériences auditives.


Il est à noter pour les amateurs de vinyle que cette compilation n'est pour l'instant disponible qu'en format CD.






1 Comment:

Pierre said...

Assez chouette. Il ne me semble pas en avoir entendu parler ailleurs en plus.