C'est un objet musical rare et hors du commun. Une découverte qui exciterait les sens tels ceux d'un enfant qui trouverait un objet d'une quelconque valeur enfoui dans le sol. Une sorte de trésor auditif caché pendant des années par quelques initiés qui auraient jalousement gardé le secret. Avec ses parfums d'exotisme, de mystère, de mystique, d'inexploré et d'érudition latine, la mention Finis Africae suscite déjà en soi une curiosité certaine. Ces "confins de l'Afrique" ont en effet longtemps nourri de nombreux fantasmes. Le continent noir comme la terre d'une exploration infinie, comme le serait aujourd'hui celui de la musique. Elle a d'ailleurs été choisie en référence au livre d'Umberto Eco, Le Nom de la rose, pour désigner les livres "interdits" de la bibliothèque… Une mise à l'Index qui ne devrait pas s'appliquer à cet album. Même si derrière ces compositions en majorité expérimentales, se cache presque inévitablement une dimension ésotérique.
Emmené par Juan Alberto Arteche Guel, le groupe comprend le multi-instrumentiste Jabier Bergia et l'artiste Luis Delgado. Si JAA reste peu connu en dehors des frontières espagnoles, le groupe avec lequel il a commencé en tant que guitariste folk durant l'époque franquiste, Nuestro Pequeño Mundo, semble avoir une certaine réputation au sein de la péninsule Ibérique. On remarque déjà le goût du guitariste pour une musique aux influences mondialisées. Finis Africae repose sur ce principe. Lorsqu'il crée cette formation en 1984 avec ses deux compères, il intègre des styles musicaux, instruments, et ambiances ethniques hétéroclites. Il est d'ailleurs bien difficile de les faire rentrer dans une case particulière. Entre électronique balbutiante, new wave, pop, folk et funk minimal aux inspiration africaines et latines, la formation ne semble pas se donner de limites dans la découverte et l'exploration de nouveaux territoires. Après des années de dictature, les musiciens profitent assurément de cette nouvelle aspiration de liberté.
Edité sur EM Records, label japonais spécialisé dans la réédition de musiques d'outsiders et expérimentales, A Last Discovery regroupe pas moins de 18 titres compilés sur deux vinyles. Cette rétrospective est une sorte d'Odyssée merveilleuse et intrigante qui mêle instruments électroniques et traditionnels de multiples cultures, de passages chantés, d'autres purement instrumentaux qui appellent au voyage. Les titres semblent hésiter entre le lointain et la proximité, la naïveté infantile et la sagesse ancestrale. "Radio Tarifa", le titre d'ouverture intègre ces contradictions apparentes. Publié sur le premier LP éponyme sorti en 1984, comme flottant sur des ondes hertziennes, on entend au loin une sorte de cacophonie de cuivres lui conférant un cachet bien particulier. C'est une sorte de parcours dans un jungle dense et hermétique, dont l'atmosphère étouffante et moite limite les mouvements. "Triciclos En la Chopera" avance pas à pas au gré des nombreuses cordes et de son rythme lent et posé. "Pirulo, Cambia Cromos" offre un pur moment d'extase où, là encore, les cordes et les vents s'entremêlent avec harmonie.
Ce sont des paysages, des atmosphères, des sensations. Des essences. Un carnet de voyage conçu, écrit et enregistré contre toute attente en studio. Les morceaux n'ont généralement ni début, ni fin. Et l'on ne sait, encore, jamais dans quel coin inexploré de la planète on va se retrouver. Sur "Segundos, Segundos, Segundos", c'est une contemplation qui est ainsi proposée. "Luna", le titre suivant, évoque quant à lui, une chaude nuit d'été éclairée par la seule lumière du satellite terrestre. Les auteurs nous convient à une sorte de voyage immobile, à nous familiariser avec cette connaissance primordiale du monde et de l'univers. C'est un dialogue énigmatique et conté comme sur "Los Pobres Del Mundo Tocan El Bombo" qui intègre tout un passage parlé en espagnol et des enregistrements de voix enfantines qui s'évanouissent progressivement. Ce qui est déroutant dans l'écoute des différents titres qui sont proposés, c'est cette impression d'être en communication directe avec les éléments naturels. "El Abrazo De la Selva", littéralement "l'étreinte de la jungle", procure cette sensation étrange et inexpliquée. On pourra encore citer "Hybla" et "Suite Amazónica" deux perles inestimables parmi les nombreuses autres que regroupe la rétrospective. Le premier propose une balade lente et indolente qui fait intervenir une dimension chantée des plus magnifiques. La deuxième est, je crois, l'un des titres les plus marquant. Passé une introduction où l'on reconnait le bruit de fourmillements d'insectes, de cris et chants d'oiseaux exotiques, s'installe un rythme légèrement "house" et la mélodie d'un accordéon qui transforme le titre en une promenade fluviale inoubliable sur l'Amazone.
En bref : Projet unique en son genre, Finis Africae créé une alchimie des plus savantes, aux univers musicaux variés et imagés, et aux traditions folkloriques universelles. Passionnée, idéale et utopiste, cette rétrospective est à se procurer immanquablement, et se destine à tous les amoureux de musique.
2 Comments:
Merci à Dave pour cette trouvaille !
Merci à toi pour cette chronique, on peut dire que tu n'as pas traîné ! Ce sont les meilleures chroniques, celles que l'on écrit sous l'emprise de l'enthousiasme, dans les jours qui suivent la découverte du disque !
Rien à ajouter à ton texte, cette compile est le principal compagnon de mon été, le disque idéal pour les après-midi moites qui n'en finissent pas !
Post a Comment