Sa greffe de foie a donc eu raison de monsieur Lewis Allan Reed. Avant-gardiste chez Warhol, junk balançant des cigarettes allumées à son public, maqué au travesti Rachel, puis rangé des voitures et macrobiotique, avant un ultime soubresaut en associé de Metallica (!), cet homme a eu plusieurs vies.
Mais même si sa carrière en solo est plus que digne et recèle des chefs-d'oeuvre, on est en droit de lui préférer celle de son acolyte John Cale,ou bien son legs souverain au sein de son légendaire groupe.
Tiens, John Cale puisqu'on en parle.... il est absent ici, de ce troisième et éponyme LP du Velvet qui est aussi, et de loin son meilleur.
Sur la pochette, il n'est déjà plus trop question d'avant-garde ou de défonce telles qu'expérimentées lors des années Factory. Lou Reed arbore un col pelle à tarte et ses premières bouclettes, Sterling Morrison une moustache renfrognée, Moe Tucker sur le divan a du mal à dissimuler les affres d'une grossesse à venir qui la tiendra éloignée de la majeure partie des sessions de Loaded (70), l'album testament du groupe, le dernier avec Lou Reed. Du coup, Doug Yule le petit dernier et remplaçant de John Cale, surveille ses nouveaux compagnons de jeu en se demandant s'il n'est pas échoué chez Fleetwood Mac, le glamour en moins.
C'est justement Doug Yule et sa voix de séraphin qui montre la voie en interprétant l'hymne au transsexuel Candy Darling ("Candy Says"), première d'une série imparable, il y aura "Caroline...", "Stéphanie... (en fait double déclinaison d'une même chanson), puis "Lisa Says". Le style apaisé et très mélodique de ce magnifique premier morceau tranche avec les aspérités et l'option bruitiste des deux premiers albums, d'où l'on ne voit guère que "Sunday Morning" et "There She Goes Again" qui soient dignes de partager l'écrin sonore de The Velvet Underground.
S'ensuit "What Goes On", probablement l'un des plus belles chansons de tous les temps, à la suite de 4 accords particulièrement pillés, réhaussée d'un harmonium discret, et aux lyrics envoyés par un Lou rageur. Où l'on retrouve l'option production sourde, avec guitares martelées en avant.
"Some Kinda Love" est une énième ballade épurée, presque joviale qui amène la dramatique de l'un des plus beaux textes reediens, ("Pale Blue Eyes") et ci-devant une chanson d'amour princière ; qu'on en juge à l'aspect irréellement poétique de ces paroles "If I could make the world as pure / And strange as what I see / I'd put you in a mirror / I'd put in front of me / I'd put in front of me / Linger on your pale blue eyes." Tout ou partie de l'art des géniaux Yo La Tengo reposerait des années après sur cette classieuse ballade. "Jesus" clôture la face A de choeurs angéliques et magnifiques qui trouveraient leur place sur le meilleur Simon and Garfunkel.
Puis le groupe s'énerve à nouveau à travers "Beginning To See The Light" et son faux finale ; on sent le groupe plus soudé que jamais sur ce titre qui narre d'un ton enjoué la lose et pose la question de savoir quel effet ça fait d'être aimé. Toujours centrées sur la première personne, la sourde "I'm Set Free" (ce son de cymbales feutrées, leur marque de fabrique !) et le badin "That's The Story of My Life", superbes compositions donnant comme toute mélodie "évidente" une impression de facilité qui bien sûr n'est qu'un leurre. Enfin, vient ce curieux "The Murder Mystery" et ses menaçantes suites de notes inversées à la guitare et à l'orgue, où s'opposent la voix trafiquée de Lou et celle enfantine de Moe, dans un registre psalmodié/parlé qui n'est pas sans rappeler "The Gift", inusable incantation de John Cale sur White Light/White Heat. Enfin, respiration finale (qui manquait cruellement aux albums précédents qui jouait sur des stridences hypnotiques un peu gonflantes) ce primesautier "After Hours" chanté faux comme on aime par une Moe Tucker aux accents de petite fille - tout l'art vocal de Giorgia Hubley, super leader batteuse des non moins super Yo la Tengo reposerait etc....etc....
L'évocation du seul groupe d'Hoboken (New Jersey) ne doit évidemment pas occulter l'immense influence du Velvet sur tout un pan de la new wave et de la pop folk indé anglo-américaine. Et ce disque génial mérite à coup sûr d'être emporté parmi les quelques privilégiés sur la proverbiale île déserte de nos traumas adolescents.
En 1985, l'impensable se produirait lorsque sortirait des cartons de MGM (le label de The Velvet Underground ) l'intégralité d'un album (V.U) enregistré aussi en 1969 où abondaient les chefs d'oeuvre dont nombre seraient repris - en moins bien - par Lou Reed sur ses premiers albums solo ("I Can't Stand It", "Lisa Says", "Ocean", "Andy's Chest" ). Ce disque, il convient de l'avoir aussi dans sa discothèque, pour percer l'art sans nul autre pareil des ballades brumeuses et cafardeuses de Lou Reed.
En bref : le premier et unique album du Velvet chez MGM est une oeuvre fondatrice qui réussit l'exploit de reléguer assez loin derrière les deux premiers opus avec John Cale. L'un des 10 plus grands LP's américains ? On a notre petite idée...
"What Goes On" (l'une des plus grandes chansons de tous les temps) :
"Pale Blue Eyes" (what else ?) :
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