On ne sait trop comment aborder ce chemin scabreux s'il en est un. Bercé par la volonté d'épouser l'azur et la terre dans un même baiser, Me Moan dépeint une Amérique archaïque et rurale, encline au blues et la country, mais ici teintée d'un côté électronique devenu presque anachronique. En résulte un étrange cocktail porté par une voix de baryton à l'amplitude généreuse et caverneuse.
Daughn Gibson assume pleinement l'origine de sa culture anglo-saxonne et sa corde vocale aura tôt fait de le rappeler. Soufflant la poussière des grands espaces américains à nos oreilles "The sound Of Law" engloutit les kilomètres sur un rythme effréné, carburant sur un BPM qui laisse entrevoir l'intrusion d'un courant électronique, simagrées qui floutent d'entrée de jeu le panorama abordé. Voilà d'où vient l'audace de cet album, convertir un héritage musical historique et traditionnel en y mêlant d'improbables nappes électroniques, qui au final participent à l'éclatement, tout en douceur, d'une direction artistique orientée rockabilly.
Et il faut bien avouer que le mélange prospère, ce dernier offrant une musique mouvante et éclectique, aux angles juste arrondis comme il faut. L'apanage électronique du disque se charge d'apporter une humeur plus froide et sombre, transposant des textures sonores new wave que Depeche Mode n'aurait pas renié "You Don't Fade", "Phantom Rider". Ian Curtis ne se cache pas non plus très loin à entendre "The Right Signs", échappée onirique au rythme épique, fracassée par les éclairs synthétiques de sa couverture cold wave.
Photo by Rene Hauser |
Si Daughn Gibson a du bon à puiser dans les 80's, le retour de baton n'est pourtant pas si loin lorsque l'on contemple Me Moan dans son ensemble. A vouloir trop mélanger les textures et les couleurs, le nectar offert par ce disque peut parfois crisper la gorge. Si les ingrédients utilisés aboutissent à certaines recettes que l'on aurait cru loin de pouvoir être élaborées, on peut au contraire facilement tomber dans l'indigestion sur certains morceaux à l'assaisonnement douteux, voir sirupeux "Into The Sea". Bien que Me Moan bénéficie d'une production plus ambitieuse que son ainé All Hell, il s'éloigne de la composition épurée de ce dernier, pêchant par une musique parfois lourde car trop baroque.
Enfin, l'essentiel de ce disque repose ailleurs, sur une certaine virtuosité à dépeindre une Amérique rurale, en jouant sur des codes esthétiques et iconographiques encrés dans l'imaginaire collectif. La manière dont les cordes de guitare sont pincées sur "Kissin On The Blacktop" rappelle fortement un rodéo à l'issue incertaine. De même que cette résonance guitaresque détienne en sa chair la musicalité d'un harmonica, Me Moan s'imprègne de l'humeur spiritueuse des westerns spaghettis, dont la boisson de référence dilue ses effluves sur "Mad Ocean", empruntes de corne muse à la senteur boisée. Alors oui cette musique est caricaturale et picturale, parfois surchargée, pesante voir étouffante, mais qu'importe le flacon tant qu'au final, l'ivresse se fait notre.
En Bref : Me Moan est un disque protéiforme qui ébranle les carcans du Blues Rock américain lorsqu'il sait s'abandonner à une nappe électronique obscure et diaboliquement profanatrice.
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