29 avril 2018

Eno - Taking Tiger Mountain (By Strategy) (1974)

Quel début de carrière pour Brian Peter George St Baptiste de la Salle Eno. Bidouilleur en chef, tripatouilleur de synthés, notre homme qui se décrit volontiers comme "non-musicien" - bon il joue des claviers tout de même - a déjà officié sur les deux premiers albums de Roxy Music. De loin les meilleurs, quoi qu'on dise, qu'on fasse. 



Il avait beau être cet étrange jeune homme décati, cheveux longs, et maquillé comme une voiture volée à l'instar de ses compagnons de jeu, portant robe et vêtements de femme soulignant l'androgynie glam d'alors ; Bryan Ferry avait beau crever l'écran... il n'en restait pas moins que le public et pas que lui avait aussi les yeux rivés sur Brian. Qui était un peu à Roxy ce que Dik Mik était à Hawkwind, l'élément filtreur, dépositaire du son de son groupe. Après son départ, Roxy malgré toutes ses qualités intrinsèques, deviendrait autre chose.
Et déjà l'homme, sûr de sa force et tel un Johnny triomphant, n'aurait pas non plus besoin de faire mentionner son nom en entier pour l'ébauche de sa carrière solo - il ne le reprendrait qu'à partir de Before And After Science en 1977.

Eno fait ultra fort en s'affranchissant de son groupe mythique dès Here Come The Warm Jets en 1973 - qui est aussi l'année de For Your Pleasure... quelle époque, on croit rêver.
Avec des titres aussi brillants et marquants que "Baby's on fire" ou "Driving me backwards", il met d'entrée la barre assez haut ; puisqu'on peut affirmer sans trop de risques que le debut de notre homme est un nouveau chef d'oeuvre.

Assez étonnamment pour un musicien qui passera les neuf dixièmes de sa carrière à verser dans l'ambient, la musique contemplative voire la musique concrète - à l'exception d'un bref retour à ses premières amours avec John Cale dans les années 90 - les débuts de Brian Eno solo sont complètement d'obédience pop. Une pop glam bien sûr, chamarrée, cabaret, qui rocke façon Bowie, est aussi aventureuse mélodiquement que celle de Sparks.

Donc, il y aura deux et même trois périodes Eno. Avant le quasi définitif virage ambient, que l'on peut regretter à double titre - celui des "albums de vernissage" un peu chiants, et aussi l'abandon du chant - une période pop-rock que l'on peut subdiviser : les fantastiques et hybrides Another Green World (75) et Before And After Science qui à la manière d'un Low empruntent aux deux directions.

Mais aussi et surtout l'impeccable diptyque constitué de Here Come... et de l'album qui nous occupe. Sans oublier la merveilleuse "Seven deadly finns" uniquement publiée en single. Que ceux qui pensaient être hermétiques à  Eno sur la foi de l'image gallerie d'art qu'il véhicule se ravisent ici.

A nouveau accompagné des "fidèles", Phil Manzanera à la 6 cordes, l'inévitable Phil Collins, Robert Wyatt ici et là, celui qui compte avec John Cale, Kevin Ayers et Nico comme l'autre membre du quatuor magique d'outlaws européens issus de grands groupes art school - immortalisé sur l'impérissable live June 1, 1974 -  compose de A à Z ce qu'il est convenu d'appeler son grand oeuvre.

Une série de morceaux ambitieux qui sous l'air de la comptine ("Burning airlines gives you so much more", "Put a straw under baby") ou de la chanson faussement insouciante ("The fat lady of Limbourg") cachent une bonne dose d'esprit sarcastique.
Eno, dans un registre assez glaçant pas très éloigné d'un Mark Mothersbaugh ou d'un David Byrne qu'il ne tardera pas à produire en marge de sa carrière solo, égrène ces refrains impavides d'une voix tout de même plus mélodieuse et plus classique que celle des chanteurs cités. Ainsi du  lancinant "The Great Pretender" avec son lock groove au chant de grillon, à "Third uncle" et ses guitares Frippiennes (malgré Manzanera) que Bauhaus aura la bonne idée de remettre au goût du jour quelques années plus tard, en passant par le roboratif "The true wheel", les dix chansons du disque bien que monolithiques et répétitives, sont particulièrement excitantes et donnent envie de guincher. Malgré un évident parti pris syncopé, annonciateur de la new-wave à venir.

Ainsi, même dans sa courte période pop, Eno fut un défricheur.

En bref : le brillantissime sophomore d'Eno. Qui clôt hélas quasi sa contribution à la pop. Il n'y reviendra qu'avec parcimonie et sur deux moitiés d'albums, les également légendaires Another Green World et Before And After Science. Avant de virer producteur et homme à tout faire.
 

2 Comments:

Ju said...

Je crois ne l'avoir jamais écouté. Alors que j'adore Another Green World et même les Ambients ! Il faudrait remédier à ça.
Bisous

Nickx said...

Ecoute fissa alors, ainsi que Here Come The Warm Jets.
Ca fait partie des Tables de la Loi.