Ah le Free Jazz ! synonyme de bruit casse couille abrasif et bordélique pour beaucoup, le Free est bien autre chose. De l'improvisation atonale à la simple sortie hors tonalité, jusqu'à l'improvisation libre (sans structure harmonique aucune), il est multiple et présent là où on ne l'attend pas forcément. Pour exemple ce disque, joué par de vieux briscards canal historique, qui revisitent des standards Be bop, les chefs d'oeuvre de Monk (godfather of free!), et s'aventurent dans l'impro modale.
Pour commencer de s'en convaincre, on écoutera absolument le bien nommé Free Jazz, où François Tusques, Michel Portal, mais aussi Bernard Vitet s'adonnent à de vibrantes improvisations à vous réveiller un Clapton. Et surtout Sonny Simmons, le plus grand saxophoniste vivant sur cette terre (avec Zorn bien entendu), 85 ans, une drôle de carrière commencée sous les meilleurs auspices dans les années 60, en sideman de Dolphy (music matador), d'Elvin Jones (Illuminations), de Prince Lasha, poursuivie par de splendides albums en compagnie de la trompettiste Barbara Donald, où se mêlent free bop à la Ornette, spiritual-cosmic free jazz façon Coltrane/Rashied Ali, grande maîtrise de l'improvisation modale (Simmons est le seul jazzman à ma connaissance à jouer du cor anglais dans ce style là, qui ferait frémir de dégoût plus d'un classiqueux). Puis un trou de 20 ans dans les années 70/80, la rue, la loose, à devenir limite clochard ! Un retour fracassant enfin, à force de travail acharné, avec des disques très variés et toutes sortes de collaborations (un disque avec la batteuse Cindy Blackman qui a plus un style free rock que jazz, de la musique indienne, electro drone, harsh noise, espérimentations psyché-baroques avec une harpiste, et j'en passe).
On commence par "Near the Oasis", avec son piano délicat tout en retenue, ses longues et sinueuses phrases de cor anglais qui sonne comme un hautbois indien et module savamment en passant d'une gamme à une autre. Nos deux comparses ont trippé prés d'une demi heure mais la partie chantée a été supprimée à la demande de Sonny (ça sonnait trop blues, selon lui, pas assez dans l'esprit du morceau). On redécouvre "Bolivar Blues", sa grille bizarre, un blues en Si bémol, qui se barre vers le Mi bemol dès la cinquième mesure, cette quinte diminuée qui sonne super dissonante en guise de conclusion du thème : un vrai bras d'honneur à l'harmonie occidentale ! Sur "round midnight", Sonny fait des merveilles : très libre par rapport au piano, tantôt en avant, tantôt en arrière, rien à foutre du tempo, rien à foutre de la grille, sauf que il retombe toujours pile poil sur la grille avec Tusques !
Pareil pour "Night in Tunisia", petite merveille de latin jazz que l'on doit à Gillespie, et qui devient une danse alanguie, aux sonorités molles et étranges, où tout est différent mais parfaitement reconnaissable.
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