Il faut écouter cet album, même si l'appellation "album" est légèrement exagérée. On trouvera, en effet, cinq versions du même morceau ("Impressions"), ce qui semble t-il, ne se fait pas vraiment quand on sort un album. Mais on trouvera aussi des choses totalement inédites et totalement excitantes !
Si ces merveilles ne nous arrivent qu'aujourd'hui, c'est que leur auteur était quelque peu distrait, ou peu concerné par les questions techniques relatives à la sortie des disques. Le soir de la session, Coltrane rentre chez lui, les bobines sous le bras, et les oublie tout bonnement dans un placard. Autre hypothèse : on est à la veille de l'enregistrement avec Johnny Hartmann, c'est-à-dire de la première collaboration de Coltrane avec un crooner, chose suffisamment singulière pour lui faire oublier ses bobines. Quoiqu'il en soit, celles-ci sont dignes d'intérêt ! Et au niveau de la prise de son (Rudy Van Gelder aux manettes, comme d'hab', on n'a pas affaire à un vilain bootleg), et au niveau des compos, et au niveau des parties improvisées.
Sur ces morceaux l'envie de tirer sur le pianiste se fait sentir, puisque on a droit à une version d'"Impression" sans piano, mais aussi au standard "Nature boy" en trio sax/batterie/basse. On sait que Coltrane s'en débarrassera définitivement pour son dernier enregistrement avec le batteur Rashied Ali, pour expérimenter l'improvisation sans soutien harmonique, sans grille préalable. Le quartet en prend un coup donc, mais c'est pour la bonne cause : Jones et Garisson n'ont jamais autant groové ! Et ça c'est la grosse sensation de ce disque ! Le groove est monstrueux, étincelant du fait d'un usage parcimonieux de la caisse claire, beaucoup de cymbales et de coups sur le ring, et bien sûr une polyrythmique à réveiller un mort. Sur les deux compos originales sans nom, et sur "Nature boy", batterie et basse sont à l'honneur pendant de longues plages où elles jouent seules, comme si Coltrane s'arrêtait de jouer pour admirer cette putain de section rythmique sans laquelle il ne serait rien. Et puis on ne dira jamais assez que Jones est un batteur hallucinant, parce qu'il maîtrise tout, et le rythme et les nuances, et propulse très haut le sax de Coltrane, par son énergie constante.
Et puis quelle émotion d'écouter ces deux "original untitled", deux thèmes très beaux, et pas écrits à la va-vite puisque Coltrane s'offre le plaisir de petites mises en place. Il y a aussi un "Slow blues", et là, Tyner se rattrape largement en nous montrant comment il sait jouer le blues en le faisant sonner moderne. Le coup de coeur c'est quand même ce "Nature boy" : tout devient une sorte de spiritual jazz dès que Coltrane s'en empare, même une sucrerie comme "Nature boy" (écoutez la version de Nat King Cole).
En bref : des bobines sorties de nulle part, qui pourraient vous donner envie de réécouter tout ce qu'a enregistré ce fabuleux quartet.
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