Des malentendus subsistent sur l'oeuvre de Mark Hollis. Et disons-le, une réelle incompréhension. Qu'on en juge : son premier groupe au nom de standard de groupe garage US qui eut un succès considérable dans les années 80 bling bling, a totalement vampirisé et occulté l'art de notre homme. Que le succès de son groupe première mouture a toujours rendu très mal à l'aise, imposé qu'il était par les diktats de productions de sa maison de disques.
Mark Hollis rêvait de Mingus, de jazz, d'électro acoustisme, de drone minimaliste façon La Monte Young quand sa compagnie lui imposait d'horribles arrangements de synthés d'époque dégoulinants. Sa musique était loin d'être la plus indigne pourtant, mais inévitablement elle se trouvait plombée par des arrangements sans nom. Un album comme The Colour Of Spring, pourtant associé à un renouveau créatif s'avère impossible à écouter de nos jours tant les sons aigus et les strates de sons s'y révèlent diarrhéiques. Mark Hollis et son Talk Talk se verraient pour l'éternité associés à ces singles entendus ad nauseam, ces "Such a shame", It's my Life" et autres. Qui comble d'ironie, serviraient comme de bien entendu d'épitaphe pour un type capable de composer des pièces classiques et qui idéalisait Davis.
Là où la critique avait idéalisé un autre de ses contemporains (Tears for Fears) à la faveur d'un enregistrement singé sur les Fab Four, elle se verrait pour partie incapable à l'heure du décès brutal du musicien à 64 ans de reconnaître ce qui fut la quintessence de son art : sa deuxième partie de carrière en soliste endossant pour deux albums le nom de Talk Talk, et pour l'ultime celui de Mark Hollis.
Qu'on ne s'y méprenne pas : avant le testament Mark Hollis (1998), les deux disques qui le précéderaient, Spirit Of Eden (1988) et Laughing Stock (1991) sont bien à envisager sous forme de triptyque ; quand bien même les deux premiers auraient été enregistrés sous la férule de Tim Friese-Greene, musicien producteur et responsable du son Talk Talk première époque.
Hollis considérant comme dans toute démarche concrète la musique comme un silence, une alternance d'irruptions auditives et de cadences brisées, c'est une étonnante ascèse mélodique que développe Spirit Of Eden au long de ses six longues pièces, et ce dès "The rainbow" toute de murmures et de trompettes Milesiennes. Adepte du contre-pied et du clin d'oeil, Hollis intitule l'un de ses morceaux "I believe in you" assez étonnamment sorti en single - ce sera le dernier de sa carrière - par opposition à "I don't believe in you", single précédemment issu de The Colour Of Spring qui bien que loué par la critique ne convenait bien évidemment pas à l'artiste.
Tout n'est ici que délicatesse et sensibilité au détour de cette voix si curieuse et vieillotte que décriront parfois sottement ses détracteurs, mais qui enlumine ces joyaux que sont "Eden" ou "Desire". Cette dernière offre un magistral crescendo tel qu'on pourra en retrouver lors de "After the flood" sur Laughing Stock, le pendant quasi inaltérable de Spirit Odf Eden - on notera d'ailleurs la similitude graphique assez troublante de ces deux disques.
Quel morceau plus émotionnel que "Wealth" pour clôturer une oeuvre atypique assez globalement incomprise de ses contemporains !
D'une beauté étincelante jusqu'au chant murmuré de Hollis qui va jusqu'à s'effacer derrière une oeuvre dont le titre de travail était Let The Music Speak.
En bref : aussi indispensable que son successeur Laughing Stock, Spirit Of Eden oeuvre inclassable aux confins du jazz et de la musique concrète, rend enfin justice au talent de compositeur de Mark Hollis, l'un des derniers stylistes anglais de son époque.
1 Comment:
Pas mieux. Super disque !
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