Il paraît déjà loin le boucan pas toujours bien maîtrisé de ses deux premiers groupes culte The Boys Next Door et The Birthday Party. Fini le bouzin punk et les cris gutturaux. Si Nick Cave garde sur ses deux premières oeuvres avec les Bad Seeds certains de ces gimmicks de prédicateur, l'australien va pour notre plus grand bonheur désormais emprunter les sentiers plus hospitaliers du crooner.
Sur Kicking Against The Pricks, nouvelle ode et citation religieuse - la Bible façon le roi Jacques réunificateur de l'Angleterre et de l'Ecosse - mais qui peut tout aussi littéralement désigner la résistance en proie aux esprits benêts - Cave offre quelque chose d'inédit : un album de reprises qui sonne comme une création à part entière. Où chaque titre interprété se voit transfiguré ; en un mot ceci est une oeuvre qu'il est permis de considérer comme le plus grand album de reprises jamais enregistrées. Le blues, le folk, la pop outlaw et les chants traditionnels en sont la matrice.
Secondé par le premier aréopage de Bad Seeds sans doute l'un des plus brillants de son histoire, avec Blixa Bargeld aux guitares, Barry Adamson à la basse, Thomas Wylder à la batterie et Mick Harvey.... qui joue d'un peu de tout - excusez du peu - ; Kicking Against The Pricks est un sans faute. En ce qu'il magnifie et transcende des titres relativement moyennasses dans leurs versions originales pour en faire quelque chose de tout à fait neuf et revigorant : on pense notamment à "The hammer song" du Sensational Alex Harvey Band épuré ici en une funèbre et lente progression à l'orgue Hammond et des roulements de caisse lents et martiaux. Superbe. Egalement au méconnu et attachant "Weeping Annaleah" de Mickey Newbury rebaptisé ici "Sleeping Annaleah" étonnamment lyrique et d'un romantisme à tout crin. Ainsi qu'à ce "Muddy Water'", obscurité bluegrass de Phil Rosenthal. Ce même romantisme prégnant dans le merveilleux "Something's gotten hold of my heart" popularisé par Gene Pitney.
Sans oublier cette version à tomber du classique de Jimmy Webb, "By the time I get to Phoenix" où l'ascétisme des Bad Seeds fait mouche. Pas à dire : ces gars-là savent s'effacer et ne jouer que la note juste derrière leur leader qui n'a peut-être jamais plus vocalisé ainsi.
Ajoutons à cela le folk de Johnny Cash ("The singer") ou popularisé par Johnny Cash ("Long black veil") ; le blues façon John Lee Hooker ("I'm gonna kill that woman"), le gospel traditionnel ("Jesus met the woman at the well"), une version complètement déchaînée de "All tomorrow's parties" et la meilleure cover de "Hey Joe" existante, hantée avec son violon plaintif et ses soubresauts de Hammond et l'on obtient ce qui s'apparente de très près à un chef d'oeuvre. L'une des trois oeuvres majeures de son auteur.
La même année, Cave devait également publier Your Funeral...My Trial, irréprochable 4ème album et qui verrait la dernière incarnation du line-up originel.
Une période touchée par la grâce s'achevait, une autre plus longue et tout aussi passionnante plébiscitée par le public allait s'ouvrir.
En bref : une réécriture et une réappropriation proprement étourdissante de standards folk, blues et de pop orchestrés par un ex-punk reconverti peu à peu en crooner habité. Indispensable.
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