Débarrassé de ses oripeaux glam David Bowie se pique de Philly Sound. Place donc à la soul teintée de disco déjà entrevue dans le "1984" de son dernier avatar Halloween Jack et entrevue dans Diamond Dogs.
Fini l'encombrant mullet, oublié l'éclair de Ziggy : l'artiste arbore désormais un look plus straight mais qui ne se départit pas d'une mine destroy émaciée, cheveux orange et cocaïné. Comme déjà sur le glacial David Live où le pas encore Mince Duc Blanc revisitait ses anciens tubes à la sauce noire blafarde.
De tous ses albums "mineurs" ; Young Americans bien qu'ayant donné le formidable tube éponyme, est sans doute le moins cité. Les raisons sont multiples : virage musical à 180 degrés, songwriting inhabituellement partagé - seuls 5 des 8 titres sont de la main exclusive de Bowie, fait suffisamment inhabituel pour être signalé - reprise controversée du "Across the universe" des Fab Four en lieu et place du très queer "John, I'm only dancing (again)" initialement prévu ; et dont le positionnement sur l'album eût été idoine, présence envahissante d'un instrument réputé imbitable dans la pop, le saxophone dont l'exécutant David Sanborn est disparu au mois de mai. Enfin, l'artiste, en bisbille avec son éditeur Tony DeFries, est d'humeur maussade ; ce qui rendons-lui grâce, ne transparaît pas sur le disque.
Accompagné d'un aréopage de choristes noir(e)s dont Luther Vandross future star Epic qui cosigne "Fascination", Bowie lance son 9ème album avec l'irrésistible morceau-titre, de ceux qui occupent une part de sa légende. Mike Garson est à nouveau du casting mais l'ensemble des accompagnants a grandement évolué. En plus du saxophone, Bowie bénéficie de deux recrues importantes qui occuperont une place de choix dans les années futures, les guitaristes Earl Slick (déjà entrevu sur David Live) qui joue sur deux titres et le formidable musicien porto-ricain Carlos Alomar omniprésent, et dépositaire de ce son reconnaissable entre tous, chaud et funky des oeuvres à venir. Dont on peut même arguer qu'il demeure le guitariste le plus emblématique de l'oeuvre Bowienne après l'inaltérable Mick Ronson.
"Young americans" bardée de références à la culture théâtrale britannique et qui cite même Lennon "I heard the news today oh boy" est l'incroyable preuve que David Bowie en homme-caméléon n'a pas son pareil pour assimiler et s'octroyer les styles et codes vocaux de ses illustres devanciers. Rien de lui ne sonne jamais cliché et il peut user du falsetto là où tant d'autres musiciens se sont fourvoyés ou se fourvoieront après lui. Etre funky quand on est blanc de peau, cela se mérite et ne l'est évidemment pas qui veut.
"Win" déjà hédoniste en diable précède "Fascination" ; l'un des grands moments dansants du disque où le groupe mixte groove comme jamais. Ici tout exsude le sexe, le stupre comme aux plus belles heures de Sly and the Family Stone et de la mythique revue de James Brown. D'ailleurs, plusieurs musiciens sont débauchés de la Family et Alomar a lui-même accompagné le Godfather.
L'hédonisme, la réussite égomaniaque sont brandis en clichés un peu moqueurs sur "Win" et la fantastique et étirée "Somebody up there likes me" (près de 7 minutes). Dans laquelle s'invite pour la première fois de furtifs sons glaciaires de synthés tels qu'on en retrouvera dès l'immense Low. Ce titre est en revanche l'un des chants du cygne de Mike Garson qui ne renouera que sporadiquement avec Bowie deux décennies plus tard.
Beaucoup d'encre a été versée sur le Lost Weekend Lennonien. Grâce lui soit cependant rendu ; car même si trois chansons prévues pour l'album dont "John, I'm only dancing (again)" en firent les frais, cela aura aussi permis de rappeler aux deux géants qu'ils étaient fans l'un de l'autre. D'où la présence que certains ont jugé incongrue et détonnante de "Across the universe". Mais surtout d'un monument annonciateur du disco naissant, l'imputrescible "Fame", composé à quatre mains par les deux hommes.
Young Americans fit un carton mais fut quelque peu rejeté par son auteur. Au-delà de la chanson-titre, formidable oxymore et épilogue de l'étouffant Dogville de Lars Von Trier, l'on préfère en retenir le rôle fondateur dans l'oeuvre du grand David.
En bref : Bowie en parfait caméléon s'approprie avec évidence la musique noire. Et ce faisant revisite la soul de Philadelphie, rivalise avec ses maîtres funk et préfigure le disco. Disque mal aimé par son auteur, Young Americans est pourtant une splendeur et un disque fondateur.
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