Au début des années 80, deux amis californiens inséparables décident de tuer l'ennui dans un local de répétition qu'ils squattent. Ils prennent un malin plaisir à ferrailler avec des instruments qu'ils ne maîtrisent absolument pas. L'un est un type un peu obèse et bouffi par l'alcool offrant une troublante ressemblance avec le Marlon Brando finissant, l'autre est un branleur d'ascendance mexicaine et taquin. Le premier, Jeffrey Lee Pierce, est à l'origine de la création du fan-club local de Blondie tandis que le second Brian Tristan s'occupe de celui des Ramones. La légende Gun Club est née.
Même si les deux hommes restent de grands amis, la soif d'évasion de Brian le pousse à toquer à la porte des Cramps... enfin à balancer des parpaings sur les vitres de Lux et Ivy pour les convaincre qu'il est l'homme providentiel pour remplacer Bryan Gregory qui vient de se volatiliser. Excédé, le couple pour s'en débarrasser se voit forcé d'engager celui qui devenu Kid Congo, va accessoirement participer au meilleur album du groupe. Nous sommes alors en 1980.
Devenu orphelin de son pote, Jeffrey Lee, obsédé par la musique hillbilly mais aussi par le blues du Delta monte un groupe et enregistre un disque ; ce sera la déflagration punk-blues Fire Of Love, un disque au mix inaudible mais fondateur.
Les choses s'arrangent si l'on peut dire avec la réalisation du grand oeuvre Miami qui va suivre. Côté production, c'est l'ami Chris Stein qui s'y colle et qui distribue également l'album sous son propre label l'éphémère Animal Records qui au même moment publie aussi le Zombie Birdhouse d'Iggy Pop.
Si l'on entend un peu mieux les musiciens qui sont restés de l'aventure précédente, on ne peut pas dire que la batterie du batteur Terry Graham claque ; la basse de l'ex Bags Rob Ritter (curieusement absent de la pochette) s'insinue davantage. On attend bien par contre la guitare de l'excellent Ward Dotson, assisté ici ou là par un intervenant à la pedal steel.
Mais à la vérité, toutes ces considérations sur ces sonorités de démo améliorée sont anecdotiques. Le plaisir que l'on prend à l'écoute de White Light White Heat, Raw Power ou Fire Of Love serait-il le même avec un son plus léché ? La réponse est bien entendu contenue dans la question. Les chansons de Miami sont fabuleuses et c'est bien là l'essentiel
Jeffrey Lee dispose de cet inimitable timbre clair et aigu, toujours à la lisière du faux et qui n'est pas sans évoquer les divagations d'un Mayo Thompson des atypiques Red Crayola. Là encore ce prêche possédé concourt à l'étrangeté de cette musique débridée mais alanguie, aérée et étouffante à la fois.
Passé l'obsession Delta, le Gun Club s'ouvre aux sonorités des hautes plaines, hillbilly et country - le magnifique "Mother of earth" joué à la slide par Jeffrey-Lee lui-même qui clôt l'album. Tout l'album empeste le bayou de la Nouvelle-Orléans. On est ici très près de l'esprit de Dr. John et l'on ne voit guère que les merveilleux Violent Femmes des débuts ou Green On Red pour tutoyer à peu près au même moment la moiteur des moucherons collés et ces invraisemblables histoires de meurtres, de rédemption ("Like calling up thunder") démises de Vétérans ("Texas serenade") sur leur chef d'oeuvre The Killer Inside Me. Tout ici est sinistre et il ne faut évidemment pas se fier au titre de l'album, choisi ironiquement. Est-ce là la "blood city" dont il est question ?
Les deux uniques reprises de Miami sont "The fire of love" (et non "Fire of love" comme le titre de l'album précédent) qui sonne comme du proto-Camps et le "Run through the jungle" de Creedence Clearwater Revival qui ravive l'esprit sauvage des Marines.
Sur "Brother and sister", le sommet du disque qui ne contient... que des sommets, il est question d'une troublante relation frère/soeur et c'est le premier morceau dans lequel intervient l'idole Debbie Harry (la D.H Laurence Jr des crédits c'est elle) et ses choeurs vibrants siéent à merveille. On la retrouve aussi derrière "Texas serenade" ainsi que la vaudou "Watermelon man", titre le plus en phase avec l'univers de magie noire de Dr. John.
Le groupe allait avoir du mal à se remettre d'un tel disque. A en croire Ward Dotson qui jeta l'éponge guère après l'album, le comportement erratique et alcoolisé de Pierce était tel que les deux ne pouvaient plus se souffrir et la carrière du groupe en a vraisemblablement pâti.
Par la suite, le leader omnipotent n'en finirait plus d'assembler de nouveaux lineups pour des résultats parfois réussis (The Las Vegas Story, Mother Juno, Divinity, Lucky Jim) parfois mitigés (Death Party, Pastoral Hide And Seek). Kid Congo revenu au bercail participerait à la plupart d'entre eux.
L'homme se fendrait ensuite de deux splendides efforts solo, Wildweed (85) et Willy Love - Ramblin' Jeffrey Lee & Cypress Grove (92) mais tel Johnny Thunders mourrait dans l'indifférence générale en 1996.
Restent tous ces merveilleux disques.
En bref : la pierre angulaire de l'un des plus indomptables outlaws américains de la fin du siècle dernier. Une oeuvre à la fois ténue et immense qu'il convient de redécouvrir. Miami ou la version "moderne" du bayou de Dr. John.
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