L'histoire passe souvent à côté de groupes comme Fat White Family à cause de leurs aspects foutraques. On se souvient que lors de la scène baggy du Madchester des années 90, beaucoup n'avaient retenu de Happy Mondays que l'image d'une bande de drogués ingérables au talent relatif. C'étaient pourtant individuellement d'excellents musiciens et leurs compos même si elles piochaient à droite à gauche, faisaient plus que tenir la route. Les mêmes remarques auront été formulées sur Fat White Family sauf qu'ici la musicalité saute aux yeux.
Le COVID, ce long hiatus qui a paralysé bien des groupes aura donc été fatal aux frères Saoudi. Ces derniers se sont séparés avec fracas de Saul Adamczewki, l'autre tête pensante de l'aréopage. Ce dernier avait pourtant élaboré des drones et des boucles en vue de ce 4ème album, incontestablement le plus abouti depuis l'ébouriffant Champagne Holocaust qui les vit émerger. Son ombre fait plus que planer sur ce disque sur lequel apparaissent furtivement quelques une de ses compositions. D'autant que celle-ci remet en question l'existence même de Fat White Family devenu plus que jamais l'affaire de Lias Saoudi et de son frère Nathan. Si des esprits chagrins auront vu les natifs de Peckham se saborder ; dès l'ouverture, Forgiveness Is Yours place haut la barre du lâcher prise avec deux exercices de spoken words. Les bourdonnants "The archivist" et "John Lennon" - ce dernier inspiré d'une rencontre inopinée avec Yoko Ono - et les textes débités au kilomètre, laissent libre court au flow de Lias qui se pique de poésie et de littérarité. "Visions of pain" parle de la religion en des termes peu amènes, usant de la prosodie du célèbre "Aguas de Marca" de Tom Jobim. Exercice de style audacieux mais réussi.
"Today you become man" est une narration haletante qui relate la circoncision du frère ainé de Lias. La question de combien de chansons ont ainsi évoqué le sujet du prépuce sera désormais posée. "Religion for one" propose ce très intéressant constat d'une civilisation et d'une époque obsédées par l'image et les écueils narcissiques qui en découlent. Avec ces mots terribles "You're not the picture, not even the frame / Just a dog drinking up my reflection". La Société du Spectacle de Guy Debord revisitée, il fallait y penser ; Lias l'a fait. Avec cet étrange plainte de muezzin en fond, Fat White Family ne craint pas de mélanger les genres ; la mélodie est simple mais superbe. Tout comme celle entêtante de "Feed the horse" dont on ne jurera pas qu'elle est est dénuée d'intentions salaces.
Cela passe ou ça casse. Ainsi de l'electro "Polygamy is only for the chief" l'ode Raëlienne à la ritournelle cabaret inspirée de Dietrich que Lias écoutait au moment de l'enregistrement, Fat White Family comme les bons osent tout et c'est à ça qu'on les reconnaît. N'hésitant pas à se mettre en danger dans le sequencing en plaçant des titres "difficiles" en début d'album ni à aborder des styles épars qui ne retirent aucune cohésion à l'ensemble. Cette fois-ci les collaborations ont été nombreuses au sein des membres qui mettent tous la main à la patte au point qu'il est parfois difficile de déceler avec exactitude qui a composé quoi pour suppléer Saul.
Disque intelligent et fourmillant d'idées de production Forgiveness Is Yours est la pierre de voûte d'une discographie insaisissable. Une chose est sûre, peu de groupes dans le paysage musical des 2020's se seront montrée aussi authentiques et maîtrisés en dépit ou grâce à tel chaos. Les derniers rockers ?
En bref : le disque inclassable d'un groupe inclassable, l'un des plus passionnants d'une époque relativement en berne. Celle d'un groupe libre qui joue à l'arrache.
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