Assez curieusement et de façon incongrue, le 12ème album de Jean-Louis Murat (hors Ep's, lives) est souvent considéré comme une livraison à part et n'est pas comptabilisé ni classé comme ses autres disques. Il s'agit pourtant de 13 nouvelles chansons enregistrées en une prise live et en studio et toutes clippées sous la forme d'un DVD lors de sa première parution. Et donc d'un album studio à part entière.
Participent à l'aventure l'accompagnateur de presque toujours, le regretté Christophe Pie (apparu dès Vénus) aux claviers et à la guitare, les désormais indispensables Stéphane Reynaud à la batterie et notamment Fred Jimenez arrivé dans l'équipage lors de l'enregistrement de Le Moujik Et Sa Femme (2002). Enfin la chanteuse Camille vient susurrer et appuyer des choeurs qui font écho aux textes ciselés de l'auteur-compositeur sur quelques titres.
Jean-Louis Murat toujours extrêmement généreux dans ses livraisons de nouvelles chansons (pratiquement un album par an depuis ses débuts) connaît la période la plus féconde de sa carrière lorsque paraît ce nouveau disque au magnifique morceau-titre. Il vient de publier le premier et non des moindres de ses deux triple-albums, Lilith l'année précédente ; et est sorti début 2004 A Bird On The Poire, disque qui a joui d'un beau succès d'estime, coécrit avec Fred Jimenez.
Constitué intégralement de mid-tempos, Parfum... réussit ce bel équilibre d'alterner déflagrations électriques et chansons plus intimistes ; se détachent notamment "Ce qui n'est pas donné est perdu", "Ton pire ennemi, le facétieux "Dix -mille (Jean) Louis d'or", le somptueux et émouvant "Qu'entends-tu de moi que je n'entends pas ?" et des chansons au format plus traditionnel. Si "Fille d'or sur le chemin" évoque la plume d'un Brassens, la surannée "Elle avait le béguin pour moi" est construite peu ou prou sur la même progression d'accords que "Parfum d'acacia au jardin".
Une autre très belle réussite est ce "En souvenir de Jade"où le timbre à la fois mâle mais portant sa part de féminité de l'artiste parvient à délivrer des lyrics qui embarrasseraient chez beaucoup de tâcherons de la variété française "il est temps / cher enfant / de mettre de côté / toutes tes vanités" s'ils n'étaient conduits avec autant de grâce et une diction parfaite.
Une chanson a également fait parler, c'est le très beau texte de "Plus vu de femmes" que d'aucuns ont pu taxer de phallocrate quand il décrit assez précisément l'homme-qui-aimait-les-femmes qu'était Murat :
"Plus vu de femmes / au monde incertain / faire autant fi des lois de l'hymen / de femmes d'un monde nouveau / ¨Plus vu de femmes / nous laisser autant seuls/... Jamais autant passé de marquis à quidam / Autant vu de nomades à bigoudis / Jamais autant bu le paradis avec dames...
L'album se termine par le cri de "Qu'entends-tu de moi...." et ses spasmodiques cut-ups à la limite de l'anacoluthe tels que les affectionnait Serge Gainsbourg.
Cette formule guitare/basse/batterie sera désormais systématiquement reconduite dans l'oeuvre de l'auvergnat, par choix artistique mais aussi en raison de considérations économiques : Murat pour être culte répétait à l'envi que ses ventes d'album ne lui permettaient pas de supporter des coûts de tournée trop élevés. Ca n'avait de toute façon jamais été son leitmotiv lors des concerts mais on se souvient de disques aux instrumentations riches comme le magnifique Mustango (99) ou bien Lilith. Dorénavant seul le songwriting compterait et le mot d'ordre serait le dépouillement.
La disparition de l'un des derniers grands auteurs-compositeurs de l'Hexagone en 2023 aura d'autant plus été vécue cruellement par tous ses fans du fait de la médiocrité ambiante de la chanson française contemporaine. C'est cette empreinte que laissera Murat, plus que le personnage bougon et faussement aigri qu'il s'était plu à créer et à cultiver pour quelques médias complaisants. La littérarité de son oeuvre, la richesse de ses mélodies et sa manière claire et unique de chanter sont ce qui nous le fait le plus regretter ce "paysan de la chanson'' terme dont il aimait s'affubler.
Pour ses 20 ans, Parfum D'Acacia Au Jardin a enfin été gratifié d'une superbe première édition vinyle sous forme de rutilant coffret. Existe-t-il encore une raison de se priver de l'écoute de ce sommet ?
En bref : l'une des grandes oeuvres du plus fécond et doué auteur-compositeur encore récemment en activité. Un dépouillement de bon aloi qui sert une musique et des textes invariablement aboutis.
0 Comments:
Post a Comment