Les plus inclassables de la scène krautrock n'étaient pas le groupe sonnant le plus krautrock. Pourtant dépositaire du titre de chanson qui cite nommément ce mouvement - on rappelle que cette terminologie très moqueuse provenait des anglais - Faust est l'un des 4,5 groupes allemands les plus importants et emblématiques de la fertile expérimentation musicale apparue en Allemagne au tournant des années 70.
Fondé par le bassiste français Jean-Hervé Peron et rassemblé à Hambourg autour de 5 autres camarades, Faust s'affranchit vite de tout esprit fer de lance ou rassembleur. Usant d'une démarche dadaïste et oecuménique pour ce qui est de sa musique, Faust ne s'interdit rien et cherche avant toute chose à casser les codes : tonalité, chanson, instrumentation, format sont successivement malaxés dans la grande tradition allemande post-soixante-huitarde mais sans que cela n'évoque de près ou de loin l'un de leurs précieux compatriotes du moment. A cet égard, Faust, premier album paru en 1971 est assez remarquable avec son vinyle clair, sa pochette transparente à photo de main radiographiée et surtout ses 3 longs morceaux furibards et éclatés. Avec le fameux et énigmatique "Why don't you eat carrots". S'ensuivront trois autres albums qui mettent un peu d'eau dans le schnaps. Encore que tout cela demeure très relatif : en effet si l'excellent So Far (1972) qui suit déroule plus les mélodies, The Faust Tapes fait à nouveau la part belle aux improvisations et au cut-up audacieux.
Dans ces conditions, l'album testament du groupe (mais beaucoup d'oeuvres seront éditées ultérieurement car le groupe passait son temps à enregistrer) paraît presque sage aux yeux des fans les plus avant-gardistes du groupe. Vaste foutoir faisant cohabiter tous les styles, Faust IV reste néanmoins un album reconnu et joué in extenso en concert - le groupe sous une autre mouture tourne encore - et la grande réussite de Faust.
On écoute les 11'47'' de "Krautrock" et on arrête illico d'écouter tous les artistes space-rock usinant du drone car là tout est dit : on n'énumérera pas la liste longue comme le bras des groupes qui se sont frotté à ce titre dans leur approche. Il en est de même pour l'irrésistible "Just a second". La deuxième chanson est même curieusement une sorte de reggae ironique lent et festif, "The sad skinhead", que l'on retrouvera magnifiquement réinterprété dans l'un des meilleurs albums de Pascal Comelade (L'Argot Du Bruit), artisan catalan et grand fan de Faust.
"Jennifer" est ce mid-tempo remarquable et rêveur qui ne déparerait sur aucun disque de new-wave post-punk. Et c'est ainsi tout au long d'un disque imprévisible où parfois l'esprit iconoclaste et quasi Zappa du premier album se rappelle à notre souvenir ("Picnic on a frozen river, Deuxième tableau", "Giggy smile" et sa ritournelle énervante mais entêtante).
Là où Neu!, Kraftwerk, Can ou Cluster se mélangent et échangent leurs membres, les cinq Faust resteront toujours farouchement indépendants, ne daignant frayer qu'avec Amon Düll II ou Guru Guru. Très rétifs au succès et bien qu'ayant signé successivement chez les deux majors Polydor et Virgin, la carrière du groupe hambourgeois plébiscité allait s'avérer des plus atypiques. Un 5ème album à suivre allait même être purement et simplement refusé par Virgin ; Punkt enregistré aux studio Giorgio Moroder ne sera dévoilé que dans l'anthologie délivrée en 2021.
Un parcours de damné en quelque sorte.
En bref : le point d'orgue d'une courte mais impeccable discographie émanant de l'un des fers de lance du krautrock même si les intéressés ne s'en sont revendiqué que du bout des lèvres.
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